Rencontre débat à la Maison des associations le 19 septembre 2023

Quatre intervenants : Liliane Tetsi (Europe Cameroun Solidarité – Femmes du 3ème millénaire – Wietchip), Sidi Sidibé avec un autre représentant de l’association Survie et Alfred Zimmer du MRAP.

Sur le site du Journal Le Monde, carte illustrant l’article titré « Les coups d’État en Afrique se succèdent depuis 2019 : Mali, Soudan, Niger… ».par Pierre Breteau , Romain Geoffroy  et Elise Barthet – 09 septembre 2023.

Sommaire

Introduction

Le représentant de Survie pose les bases de cette rencontre en présentant son association et évoquant la dizaine d’associations qui s’occupent des relations entre la France et l’Afrique. Leurs actions ont manifestement connu certains succès.

Un point de départ historique 

Dans les années 60, le Gal de Gaulle instaure un triple système, économique, politique et militaire, avec son ministre Focard.

  • Politiquement : ce système consiste à donner un avantage à la France sur les pays de l’Afrique, qui lui assureront un certain rang international. Elle s’était notamment arrangée pour que tous les anciens pays colonisés, censés être souverains, votent comme elle au Conseil de Sécurité. Cela conférait à la France un poids certain.
  • Économiquement : le franc CFA1 fut imposé, une monnaie frappée par la France, et payante. Toutes les transactions devaient passer par la banque de France.
  • Militairement : la France est leur protection. Les pays qu’on pense être souverains ne le sont pas du tout.

Une politique cachée

Au départ, ces pays ex-colonisés étaient des « amis de la France ». Mais en fait ils ont été entrainés à appliquer la politique que l’ex colonisateur leur demandait, au détriment de leurs populations.

L’association Survie alerte sur ce système par des écrits et des conférences et s’attache à ce que cette information puisse être diffusée au maximum. Pour elle, les coups d’États aux Niger, Burkina Faso et Mali, sont des conséquences de cette Françafrique.

L’efficience d’associations comme Survie

Beaucoup d’actions de l’association Survie ont eu de l’effet, comme l’affaire Elf. L’entreprise d’extraction Elf a pu être démantelée2 grâce au livre « Noir Silence » de François-Xavier Verschave. Survie a beaucoup de spécialités dans plusieurs domaines. Ce qu’écrivent les auteurs sous sa bannière est mûr et vérifié, pour éviter des procès.

Un membre de l’association : Sidi Sidibé

Originaire du Burkina Faso, Sidi Sidibé, est l’auteur de « De mon village à l’insurrection »3  où il décrit comment le pouvoir est susceptible de corrompre.

Ce membre de l’association Survie intervient dans la rencontre en proposant quelques thèmes auxquels le public pourra réagir. Il donnera quelques clés de lecture dans cet environnement assez complexe que sont les relations entre la France et l’Afrique. Il n’est pas douteux que c’est un sujet qui intéresse beaucoup de monde.

Considérations géographiques

Des pays très différents

Sidi Sidibé rappelle que l’Afrique n’est pas la simple somme de différents pays, car il ne voit pas vraiment d’unicité dans ce qu’on appelle l’Afrique. De ces pays singuliers, on pensait qu’ils étaient un tout. Mais pas plus que l’Europe, les États-Unis, dont l’hétérogénéité ne choque personne, l’Afrique n’est pas uniforme.

Que l’on parle du Gabon, du Burkina Faso, du Mali et du Niger, ces anciennes colonies françaises ont néanmoins en commun d’essayer chacune d’avoir un destin singulier. Ce vœu de souveraineté découle parfois de circonstances très difficiles, comme pour le Rwanda.

Des frontières imposées

Jusqu’à maintenant, depuis l’indépendance, rien n’a été décidé par les pays eux-mêmes, mais par des pouvoirs extérieurs. Notamment par le dommageable tracé des frontières, qui émanent de la répartition de l’Afrique4. Or, les frontières sont les premiers jalons de division des peuples africains.

Mais plus généralement, ce sont les décisions extérieures qui entrainent les révoltes des jeunes africains, au point qu’ils en viennent à accepter des coups d’État.

Les bases posées par un Congrès historique

En 1990 se tient le Congrès de la Baule5. On y a donné des injonctions dans les sillons de la démocratie occidentale, dont les africains n’avaient aucune ébauche à l’esprit, ni aucune idée.

Une médication à un sujet sain

Si les élites africaines ont accepté ces termes à l’époque, c’est sans doute parce que les occidentaux avaient annoncé qu’ils les financeraient. C’était pourtant une médication à quelqu’un qui n’est pas malade. L’intellectuelle et femme politique Aminata Traoré, a exprimé ceci en déclarant « l’Afrique n’est pas pauvre, mais appauvrie et leurrée ».

Un cadre capitaliste global

Ce remède consistait en des programmes d’ajustements structurels, avec un total libéralisme, dans un cadre de capitalisme global.

Il y eut deux objectifs successifs. L’objectif millénaire fut suivi de l’objectif de développement durable.

Vendre du rêve

On lui fait croire, mais les jeunes savent aujourd’hui exactement ce qui se passe. Ils savent quels sont leurs besoins réels face à ceux qui viennent leur vendre du rêve.

Des contraintes et des dégâts

Une déstructuration

Les plans d’ajustement comme l’APE ont entrainé dans ces pays un libre échange dont on leur fait croire qu’ils vont profiter. Or, la manufacture qui devrait en découler sur leur territoire est parfaitement minime.

Exemple : le Sénégal. Les APE donnent libre échange pour tout ce qui est de la terre. Or au Sénégal, la pêche est rudimentaire ! Les pays africains ont vu leurs structures exploser, sans qu’il soit installé d’autres structures viables pour la population.

Un contrôle frontalier même à l’intérieur des pays

On leur impose ces APE et on leur impose le contrôle frontalier même à l’intérieur des pays. Mauritanie, Maroc, Tunisie, Algérie… Niger : l’Europe a délocalisé ses frontières.

La souveraineté des africains dans leur ensemble

Que doit être un État ? En principe, c’est une organisation politique et une population. Or, par toutes ces injonctions qui leur ont été données, ces États ont été de plus en plus fragilisés. Leur souveraineté-même est fragilisée, rabougrie et effritée, au point qu’il est question d’une nécessité de rajouter à ces États la reconnaissance des pères. En effet, souveraineté et légitimité des gouvernements africains ne vont plus de soi.

La jeunesse en quête de souveraineté

Aujourd’hui, c’est précisément à une vraie souveraineté que les jeunes aspirent.

Une souveraineté érodée

Quand on a moins d’État et qu’un État a ce rapport avec ceux qui érodent cette souveraineté, cette dernière est corruptible au niveau économique, social et souvent aussi au niveau culturel. Le projet de démocratie ne peut donc pas marcher.

La société civile africaine y répond

60% de la population africaine est âgée de 17 à 25 ans. Ces jeunes veulent un changement radical.

On essaie donc de faire partir les gens au pouvoir qui n’assument pas leurs rôles de dirigeants.

L’Afrique de coups d’État en transitions

En 2014, au Burkina Faso, il y a eu une insurrection populaire qui a fait partir Blaise Compaoré. Dans la foulée il y a eu une transition. Le coup d’État qui aura lieu sous cette transition a été bouté par des civils, qui n’acceptaient pas qu’il y ait un coup d’État sur leur sol. Les militaires instigateurs furent obligés de faire marche arrière, de déposer les armes, puis ont été arrêtés et jugés. Beaucoup sont encore en prison.

Coups d’États au Burkina Faso

Premier coup d’État

Comment expliquer que ce même peuple, au moment du coup d’État de janvier 2022, sous le mandat d’un président démocratiquement élu, puissent s’en réjouir au contraire, au point de sortir pour danser ?

Les réactions

Inversement, Paris a condamné le coup d’État.

Au niveau africain, y a eu des accords de mise en place d’une transition avec le CDAO, avec un délai d’organisation d’élections.

Second coup d’État

Puis, il y a eu un second coup d’État qui sera lui aussi condamné moralement par Paris. Mais il n’y a pas eu de sanctions. On a laissé le processus se faire avec un calendrier de sortie, de transition avant les élections.

Coup d’État au Niger

Et subitement il y a un coup d’État au Niger. 

Les Nigériens l’approuvent

Pour le coup, il a est applaudi par le peuple nigérien. Du côté de la France, on a pu dire que c’est l’influence des Russes, mais nous, les Français, ne voyons pas notre responsabilité.

Du côté africain

Cette fois-ci le Burkina et le Mali ont déclaré qu’ils appuieraient le Niger.

Du côté français

Une telle déclaration associée au fait que le Niger mette en demeure la France de se retirer attire la foudre de Paris. On mesure même la singularité du coup d’état du Niger dans l’instantanéité des représailles de Paris : arrêt de toute coopération avec l’AFD6, fermeture du service de visas.

La réaction de Paris au coup d’état nigérien

Des intérêts économiques déterminants

Cette sévérité s’explique par la place critique du Niger dans les intérêts de la France en termes d’uranium, dont le Niger et la Chine représentent chacun 4%, la Russie 5%. Le plus gros producteur d’uranium est le Kazakstan. Mais pour la France, faire venir l’uranium d’ailleurs est problématique, car ce métal est une ressource dangereuse nécessitant des aménagements spécifiques, un en camions sécurisés.

La France se veut fer de lance de l’uranium en Europe

Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique, avait déclaré devant l’Assemblée7 nationale, alors que l’embargo avait été mis sur la Russie, que la France n’importait plus d’uranium des mines russes depuis 2022. Et d’ajouter que la France se veut le fer de lance de l’uranium en Europe. Considérant que le nucléaire représente 70% de l’électricité en France, cette assurance n’avait pas compté à l’époque avec cette crise nigérienne.

Le fait est que France en l’état actuel ne peut pas se passer du Niger.

Et la chine ?

Diversification des origines

La stratégie de la Chine consiste en la politique du 3/3. Si elle a des mines en Afrique, elle en possède aussi en Russie. Ayant dans son sol 4% de l’uranium, cela ne l’empêche pas de spéculer sur le marché mondial pour s’en constituer une réserve.

Une mainmise discrète

Les Chinois très présents ont la mainmise sur certains pays d’Afrique. Peu visibles parce qu’ils n’interviennent pas au niveau militaire, ils s’appliquent pour l’instant à poser les pions. La Chine est l’un des plus gros partenaires de ces pays. Sur un marché, tout ce qui se vend d’utilitaire vient de Chine.

Dépendance de la France

Aujourd’hui, Paris doit être obligé de trouver une source d’approvisionnement d’uranium.

L’attitude occidentale dictée par ses intérêts

La posture occidentale face aux putschs et aux régimes non démocratiques africains est orientée. On pourrait parler du Mali, ou du Gabon. On aurait pu parler aussi de la Guinée qui est actuellement aussi sous un régime de junte.

Aujourd’hui la grande géostratégie mondiale est basée sur les mines. Uranium, or, terre rares, lithium, etc., il faut acquérir ces mines pour les exploiter plus tard, l’avenir des batteries en dépendent.

Quand on regarde le classement des pays producteurs d’or, le Ghana vient en tête, suivi de l’Afrique du Sud. Viennent ensuite le Mali, le Soudan, le Burkina, la Guinée. Ces pays ont leur mot à dire.

Il y a coup d’état et coup d’état

Pourquoi Paris n’a-t-il pas condamné le coup d’État du Gabon de 2023 aussi véhémentement que celui du Niger ? Si celui du Gabon a été déclaré en être un « pas comme les autres » par la France, c’est parce que le Gabon l’a immédiatement rassurée sur le maintien de ses accords avec elle. Ce type de coup d’état compromettant pas les relations avec les Occidentaux ne leur font pas peur.

L’individu Lambda sait-il tout cela ? Sait-il qu’en 1961 le Burkina a fait pareil, sous De Gaulle, le gouvernement burkinabé avait déjà demandé à ceux qui étaient venus les aider, en l’absence de solutions, de partir.

Le fait que ces pays veulent voler de leurs propres ailes ne date pas d’aujourd’hui.

Des intervenants de la rencontre débat à la Maison des association Strasbourg
Quelques intervenants lors de la rencontre débat à la Maison des associations à Strasbourg

Liliane Tetsi, représentante des associations : Cameroun Solidarité – Femmes du 3è Millénaire -Wietchip

Pourquoi la question de l’accueil pose-t-elle tellement problème, alors que c’est une question humaine ?

La migration actuelle et l’accueil

Rejet et discrimination

« J’ai décidé de parler des migrations et des conditions que les personnes trouvent en arrivant chez nous. Ce mois de septembre est très riche d’actualités sur la question migratoire, des réfugiés et de l’asile. Pourquoi la question de l’accueil pose-t-elle tellement problème, alors que c’est une question humaine ? Finalement, on est face à une politique migratoire de l’union européenne et de notre pays, discriminante. Non seulement elle est discriminatoire, mais elle fait des hiérarchies entre les discriminés. Pour peu qu’on ait la peau un peu mélanisée, alors là, c’est grave pour les personnes concernées.

Mais on le voit, il ne s’agit pas seulement de ceux-là.

Les Afghans aussi, on sait très bien les difficultés qu’ils rencontrent, les Bulgares. On ne peut pas ignorer tout ça, donc.

Deux poids deux mesures

Nous avons vu en février 2022 une union européenne qui clamait que « non, on n’a pas les moyens l’accueillir des migrants », alors qu’on laissait des Syriens et tout le monde mourir en mer, et parfois essuyer les bombes dans les champs.

Quand ça a été le tour de l’Ukraine, l’Union européenne a subitement trouvé le moyen d’actionner la directive d’accueil temporaire, qui pourtant datait de 2001, et qu’ils n’avaient jamais appliquée. Là, pour le coup c’était clair que cette politique migratoire est discriminante. Et on a vu même pendant cette période que ceux qui fuyaient l’Ukraine pour essayer de venir ici, dès lors qu’ils venaient des continents africains, étaient refoulés en Ukraine.

Une solidarité de rejet

Nous avons vu ces derniers jours arriver à Lampedusa des milliers de migrants. Que font l’union européenne et d’autres pays ? L’Italie déjà durcit sa politique, puisque les gouvernances s’y sont fait élire sur la promesse qu’ils allaient éradiquer l’immigration.

Et maintenant, voilà que nous volons à son secours, on va l’aider.

Pendant que le chef d’État français dit que oui, il faut être solidaire de l’Italie, de mon côté je m’inquiète de tels propos. Si on entend le chef d’État prôner la solidarité avec l’Italie, on pourrait penser que c’est pour accueillir les migrants. Eh bien non.

Refoulement vers des pays africains « amis »

Le ministre de l’Intérieur Darmanin nous a éclairé sur le type de solidarité dont il s’agissait : ils allaient aider l’Italie à refouler les migrants vers les pays amis avec qui ils ont des relations diplomatiques correctes. Et de citer le Sénégal, alors que c’est un pays dont nous savons que l’opposant qui voulait se présenter aux élections est en prison. À part ça, nous aimons la démocratie.

Les gouvernements européens parlent aussi de la Côte d’Ivoire, dont on sait aussi ce qu’il s’y passe.

Et finalement, l’Allemagne aussi, la voilà qui dit « Ah, mais de toute façon pas question d’être solidaire avec l’Italie puisqu’il ne respecte pas le pacte européen pour l’immigration ».

Inhumanité et désinformation

La désinformation

Je voudrais parler du degré d’inhumanité dans la politique migratoire que nos pays conduisent. Et à quel point c’est dommage qu’on manipule ainsi la population par la désinformation.  Ça a pour effet que les gens soutiennent cette politique et approuvent le renvoi des migrants.

Le problème reste entier

Mais en réalité, si les migrants ne sont pas là, leur absence ne règlera pas les problèmes de la population. Parce que le capitalisme ne veut pas régler le problème de ceux qui souffrent. Le capitalisme est fait, comme le libéralisme, pour que certains accumulent des richesses. Il faut bien garder cela en tête.

Des femmes dans un camion frigorifique

Par ailleurs nous avons vu, cette semaine encore, que des femmes ont été heureusement sorties d’un camion frigorifique8 grâce à l’alerte de journaliste.

Nous sommes au 21ème siècle, et parce que des gens tentent de passer de notre pays au Royaume-Uni at qu’on ne les laisse pas passer, ils sont dans des camions frigorifiques. Je voudrais simplement interpeler sur où nous en sommes arrivés, comment la désinformation va loin.

Même les médecins français

Il se trouve qu’aujourd’hui il y a même des médecins qui s’en mêlent, s’expriment à la télévision. Y seront là aussi incriminés les migrants et la migration dans la réapparition de certaines maladies qui avaient disparu. Ces médecins prétendent à propos de la rougeole, de la diphtérie, que cela viendrait du fait que les migrants crachent. Comme si les migrants étaient les seuls à pouvoir cracher.

Les maladies apportées par les colons

Si ces maladies reviennent, c’est peut-être parce que c’est un processus naturel et le cours de la vie. Mais aussi je tiens à rappeler que, s’agissant de ces maladies et de la rougeole, c’est au moment du colonialisme que les colons l’ont introduite en Afrique et en Amérique. Donc, quand on veut faire le malin, il faut peut-être assumer tout le reste.

Se serrer les coudes

Je pense vraiment que nos pays feraient bien de s’assoir comme ils l’ont fait à Berlin en 1885, pour pactiser et se partager les pays. S’asseoir pour dire « Faisons autrement, unissons-nous et serrons-nous les coudes ». C’est de cette façon-là que nous pourrons nous en sortir. Parce que notre survie à tous dépend de l’entente qu’il y aura entre les peuples. »

Présentation du livret « Face aux afrophobles, pour mieux vivre et agir ensemble », publié par le comite du MRAP-Strasbourg

Alfred Zimmer propose ce livret qui offre des clés pour comprendre les enjeux comme l’histoire de ce racisme spécifique qu’est l’afrophobie. Il donne des éléments pour communiquer précisément à ce sujet.

Diverses interventions

Intervention de Francis dans la salle

« Au Sénégal le principe des APE dans le cadre des accords de Cotonou, les accords de partenariat économique, c’est du néolibéralisme pur et une vision erronée qu’avait l’Union européenne. 

Démocratie est synonyme de corruption

Ce n’était pas un si mauvais président ? Moi l’écho que j’en ai par mes étudiants et mes doctorants qui sont aujourd’hui au Niger et comme dans toutes les démocraties, celle de Roch Kaboré et de son parti au Burkina Faso ou ce qui était le Mali d’avant, c’est qu’une démocratie est synonyme de cor-rup-tion. Ce qu’on voit c’est qu’on a beau élire des gens tous les 4 ans, quand ils sont au pouvoir, ils vont manger, ils vont en profiter. C’est comme ça que la démocratie en Tunisie s’est effondrée, après 10 ans de démocratie en Tunisie, une période terrible de corruption avec Ennahdha et d’autres. Ce qui fait que l’actuel président Saïd, en luttant contre la corruption, il est forcément populaire.

Donc je pense que la démocratie est synonyme de corruption. Comment faire autrement ?

Ce que les coups d’états expriment

Lutte contre la corruption

Les coups d’État, ce n’est pas la Russie qui est derrière, ce n’est qu’un effet d’aubaine. Il y a aussi Thomas Sankara au Burkina. Des coups d’État, il y en a eu des dizaines en Afrique, donc ce n’est pas la main de la Russie, il faut qu’on arrête aussi cette vision. Pourquoi aujourd’hui il y a eu cette volonté, qu’on a déjà vue au Mali ? La volonté de cette lutte contre la corruption est rejointe par une partie de la jeunesse, qui se sent défendue.

Quête de dignité

J’ai mes propres collègues et étudiants, qui sont pourtant tout à fait francophiles, ont fait leurs études en France, qui te disent que grâce à eux ils retrouvent, sinon une souveraineté, une dignité. Les jeunes de la jeunesse africaine se reconnaissent dans ce coup d’État9, parce qu’il leur redonne une part, non seulement de dignité, mais de souveraineté.

Les associations et organisations françaises

Qu’est-ce que nous faisons, le MRAP Survie, pour ramener le gouvernement à la raison ? Quel mouvement d’opinion on est capable de faire sous forme de pétition, sous forme de prise de parole ? Le MRAP a-t-il prévu quelque chose ? Parce que la naïveté et la bêtise de ce gouvernement inexpérimenté doivent sortir de cette vision totalement simplifiée.

Des coupures de liens avec les artistes et les étudiants

Paris est en train de sanctionner des artistes, bloquer les visas pour 2000 à 3000 étudiants du Burkina, du Bénin et du Niger. Alors qu’on dit que les services d’ambassades ne peuvent pas les prendre. En fait on peut le faire sur Internet sans problème. Il y avait des engagements clairs des universités de les accueillir, les parcours étaient faits.

Des blocages de soutiens vis-à-vis de la société civile

Il y a un programme de l’AFD qui s’appelle Équité qui soutient les coopératives agricoles, qui font du commerce équitable au Mali, au Burkina entre autres. Le gouvernement français a bloqué les financements de ces comités, notamment agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF10). D’autres ONG, sont aussi coincées maintenant, par manque du financement qui soutient ces coopératives.

Donc ce qu’on devrait faire ce soir, la vraie question c’est comment on peut se mobiliser comme capacité citoyenne en tant que mouvement citoyen pour faire une campagne d’opinion et dénoncer la politique ?

La société civile doit parler à la société civile

Pas sur le plan militaire ou coup d’État, bien sûr. Questionnons-nous sur comment la société civile parle à la société civile, comment nous pouvons soutenir nos amis africains aujourd’hui, artistes, intellectuels, universitaires et ceux qui travaillent dans les ONG, soutenir les paysans et des coopératives. C’est ça la question.

Le gouvernement français se coupe l’herbe sous les pieds

Pour parler de sa naïveté, ce gouvernement veut-il que les étudiants du Niger aillent faire leurs études à Moscou ? Veut-il mettre définitivement fin à la francophonie ? Sachant que l’avenir de la francophonie et du français, réside dans les pays d’Afrique francophone. Il n’obtiendra rien d’autre fermant les frontières comme il le fait, en empêchant les artistes de venir continuer de travailler avec les artistes français, de venir faire de leur théâtre, de la création, etc.

C’est une politique à l’envers

 Il faudrait qu’on fasse la vraie question ce soir, c’est comment on se mobilise pour critiquer cette politique ? Je reconnais que moi non plus, avec mes collègues d’une revue qui s’appelle Monde en développement11, avec des amis qui depuis des années travaillent sur l’Afrique, je trouve qu’on n’a pas encore pu suffisamment faire entendre notre voix. À l’époque il y avait Philippe Hugon12, Antoine Glaser13, un certain nombre d’intellectuels qui y travaillent depuis longtemps. Qui disaient, attendez, ce gouvernement fait le contraire de ce qu’il faudrait faire.

Comment faire pour dénoncer les conséquences de cette politique ? »

Un intervenant congolais dans la salle

La structure sociale au Congo

« Dans ma culture, le roi était entouré des chefs de famille et c’étaient les chefs de famille qui prenaient réellement des décisions. On peut parler d’une constituante, d’une véritable assemblée démocratique. Par la suite nous avons eu les régimes militaires inspirés de l’Occident. Il est plus juste de dire imposés.

Le Congo sait comment éradiquer la pauvreté

Je ne sais pas comment s’est passé dans d’autres pays d’Afrique. Pour ce qui est du Congo, à l’époque, a travaillé avec des experts congolais sur un document contenant des stratégies pour la réduction de la pauvreté en RDC, que j’ai pu lire. Ce ministre a basculé en opposition depuis plusieurs années, parce qu’il était seul. Certains de mes amis ont travaillé pour son élaboration. Ils ont même circulé dans les petits villages du Congo pour recueillir des données. Or, c’est un document tel que s’il avait été appliqué, le Congo serait déjà sorti de la pauvreté. Voilà un document conçu par les Congolais, une proposition qui ne va jamais être imposée.

La figure de l’Afrique de l’Ouest en modèle

Dans l’histoire des coups d’États en Afrique de l’Ouest, pour nous l’Afrique de l’Ouest était un modèle, avec une jeunesse qui comprenait qu’il fallait que nous revenions à nos valeurs. Ce qui est sûr, c’est que la démocratie incarne nos valeurs actuelles. Mais ce n’est pas nouveau, parce que la Charte des droits de l’homme, la charte de Mandé a été écrite en Afrique. C’est une charte exclusivement inspirée de l’Afrique.

Les quatre raisons des coups d’État dans les pays de l’Afrique francophone

  1. Réduire l’emprise de la France dans ces pays.
  2. Instaurer la vraie démocratie, garantissant une alternance au sommet de l’État.
  3. Imposer l’autocratie à la Poutine.
  4. Améliorer les conditions de vie des citoyens dans ces pays afin de limiter l’immigration vers l’Occident.

Le quatrième point 4. demande réflexion et temps. Mais il faut trouver des réponses. »  

Réponse de Sidi Sidibé aux diverses questions

La question de la légitimité de Bazoum élu démocratiquement

« Le je vais faire un juste rappel : Bazoum au Niger a été le ministre de la Défense de Mahamadou Issoufou.

Son action dans le pays
Bazoum fut l’artisan de la loi sur la migration

Quand j’ai parlé de délocalisation de la frontière de l’Union européenne vers ces pays-là, Bazoum a été l’un des artisans de ce qu’on appelle au Niger la loi sur la migration, qui contrôle aujourd’hui même la migration interne14.

Installation de frontières internes dans les pays africains

Y a des types de personnes qui n’ont même plus la possibilité ou qui sont contrôlées quand elles veulent passer d’un certain endroit à un autre, parce que ces personnes-là on pense qu’elles sont susceptibles de partir en Europe. Cette loi a été pondue, élaborée sous Bazoum. Quand on dit que Bazoum a été démocratiquement élu, que c’est un homme intègre, qui vient de la minorité touarègue je crois. Mais ça c’est l’analyse que la France fait. Je parle de la françafrique. La France dans sa représentation en Afrique.

La transparence des élections ne suffit pas
Une cooptation

Certes, ces élections ont été transparentes. Mais Bazoum a été propulsé par Mahamadou Issoufou en tant que dauphin. Bazoum et Issoufou sont vus par un grand nombre de Nigériens comme étant ce que le duo Macky Sall-Ouattara15 sont vis-à-vis de la France, voilà le réel. L’acceptation de la jeunesse de ce coup d’État est en particulier liée à ça.

Opposants évincés

L’autre facteur, c’est que l’élection de Bazoum a eu des opposants notoires, notamment Baba Hama qui n’a pas été autorisé à concourir pour la présidentielle. Donc, quand il y a des choses comme ça qui se passent dans un pays, il est très difficile pour un observateur averti de se dire que ce qui est en train de se passer est une élection démocratique libre et transparente.

La raison du coup d’état

Un terreau, plutôt que la disgrâce du général Tchiani

Ce n’est pas la raison du coup d’État. On ne fait que spéculer là-dessus. Certains peuvent penser que c’est parce que Tchiani avait été en disgrâce vis-à-vis de Bazoum et que c’est de là qu’est née la velléité de faire un coup d’État. Or, avant ça, il y a déjà eu une tentative de coup d’État qui a échoué. Comment explique-t-on cette tentative de cette précédente tentative de coup d’État ? On ne peut pas simplement dire que c’est parce que Tchiani allait être débarqué qu’il a fait un coup d’État, mais considérer plutôt qu’il avait un terreau pour accepter les coups d’État. Tchiani a saisi l’opportunité dans ce qui existait.

La légitimité aux yeux de la population

Quelle que soit la raison qui l’ait amené à faire son coup d’État, il l’a fait. Et après, quand on fait un coup d’État dans ces pays-là, on cherche des raisons de légitimation de son pouvoir par rapport au coup d’État qui vient d’être perpétué. Et là, aujourd’hui, il est tellement facile de légitimer un tel coup d’État, considérant l’aspiration profonde de la jeunesse pour sa dignité, sa souveraineté, et surtout la volonté de rupture radicale vis-à-vis de l’Occident qui est considéré comme impérialiste. Il suffit pour le régime de brandir cet étendard pour que le coup d’État soit accepté.

Le coup d’état dans la démocratie africaine

Le cas du Burkina
L’importance de la rue

J’ai parlé du coup d’État du Burkina, qui a été arrêté par la rue. Le Burkina a une culture de coup d’État plus profonde que tous ces pays. Quand le premier coup d’État est arrivé au Burkina, les militaires ne voulaient pas prendre le pouvoir. C’est sous pression des mouvements syndicaux, appuyés par les OIC, les organisations de la société civile, que les militaires eux-mêmes se sont vus obligés de prendre le pouvoir pour éviter le chaos qui allait surgir.

Ce qui est frappant avec ce dernier coup d’État au Niger, c’est l’acceptation même de ce coup d’État. Que des démocrates qui aspirent à une liberté totale soient contraints d’accepter un coup d’État, qu’ils ont toujours honni.

Des partisans de la junte militaire au pouvoir au Niger se rassemblent pour une manifestation appelée à lutter pour la liberté du pays et à repousser l’ingérence étrangère, à Niamey, au Niger, le jeudi 3 août 2023. Crédit Sam Mednick/AP
L’acceptation du coup d’état doit nous interpeller

J’ai un ami qui travaille avec moi depuis longue date sur les problématiques du Burkina. Nous avons œuvré ensemble pour l’inspection populaire. Il a toujours banni les coups d’États. Mais le pire, c’est que le coup d’État qui est survenu sous Compaoré, il l’a accepté et il disait même « mon grand frère, je t’assure qu’il va y avoir le coup d’État. Il faut qu’il y ait un coup l’État » La raison du coup d’État, elle est multiforme. Mais là, l’acceptation des coups d’État doit nous interpeller et nous dire qu’il y a quelque chose que nous (les gouvernements africains) ne faisons pas bien et que ce quelque chose-là, les peuples n’ont pas d’autres alternatives à un moment donné que le coup d’État.

La démocratie imposée

L’Afrique a une structuration originelle de forme démocratique

Quand je parle de démocratie imposée par l’extérieur, je rappelle qu’en Afrique, la structuration de base sociale et sociétale est de forme démocratique. Ça, je le sais de moi-même, car je suis une émanation de ça. Il y a même chez les Africains une structuration démocratique par endroits, dans certaines sociétés, qui n’est pas patriarcale, mais matriarcale. Et tout ça, ça existe en Afrique.

La conditionnalité de l’aide au développement

Précisément, quand je parle de démocratie imposée, je parle des conditions qu’on a imposées à ces pays-là depuis le discours de La Baule, pour que les pays africains concernés aient accès à ce qu’on appelait l’aide publique au développement. C’était assujetti à une certaine conditionnalité.

Je ne peux pas vous donner la liste exacte de ces conditionnalités, mais c’était pour bénéficier de l’aide publique au développement.

Le combat de l’association Survie

Et c’est dans ce cadre d’ailleurs de dénonciation et de dispatching de cette aide publique au développement, que l’association Survie est née, qui a travaillé même par-delà la gestion de cette aide publique au développement.

Quelle démocratie ?

Mais je ne dis pas qu’il n’y avait pas de démocratie. Quand je dis démocratie, c’est la démocratie comme on le veut ici en France, c’est la démocratie occidentale. La notion de démocratie, j’en connais la classification théorique, la classification intellectuelle des régimes. Il y en a quatre : les régimes autoritaires, les régimes totalitaires, les régimes démocratiques. Et à cela on peut ajouter l’anarchie. Du régime démocratique, il y a une définition16 qui a été entérinée avec des contours bien définis : il faut un multipartisme, une décision collégiale, des élections transparentes, la liberté de la presse…Voilà, il y a plusieurs jalons pour parvenir à une démocratie totale et ce sont ces jalons-là qui ont été imposés à ces pays.

Un financement de la démocratie qui mène à la corruption

Et ces pays ont accepté pourquoi ?

Je prends le cas particulier par exemple du Burkina. Ces pays ont accepté parce que c’était financé. Tout simplement. Et que ce financement entraînerait aussi de la corruption et un retour de financement ici (en France). »

Un intervenant congolais dans la salle

La liberté d’expression existait déjà en Afrique

« Il y a quelque chose qui ne va pas à dire que l’exigence de la liberté d’expression a été imposée à ce pays, cela revient à dire que les populations de ces pays-là n’avaient jamais voulu être libre, en tout cas s’agissant de la RDC.

Les Congolais se sont battus pour leur liberté

C’est en 80 que la première résistance pacifique interne au Congo a eu lieu. Depuis 80 jusqu’à 90, Mobutu n’a fait que tuer des personnes lui résistant sans armes. Car la résistance était pauvre. Pendant ce combat mené contre Mobutu, tout le monde disait « si Mobutu nous résiste c’est parce qu’il a encore des soutiens des occidentaux ».

Les Occidentaux lâchent finalement Mobutu

Donc ce discours de la Baule c’est pour nous un message qu’il vient d’être lâché. Et effectivement Mobutu qui a été lâché a atterri au Maroc. Il n’est pas parti au Maroc parce que les Occidentaux nous ont imposé la démocratie, mais parce que nous nous sommes battus jusqu’à le faire fuir du pays.

François Hollande

Il y a eu d’autres désaveux. Par exemple, lorsque Kabila17 s’est mis à nous résister (ça s’est passé lors d’une conférence sur la francophonie qui se tenait au Congo), nous avons d’abord refusé que cela puisse se tenir au Congo parce que Kabila ne respectait pas la démocratie. Malgré cela, la conférence s’est tenue au Congo, et le président Hollande a accepté de venir. Mais il a fait un geste que les Congolais ont apprécié jusqu’à aujourd’hui. Hollande est venu au Congo, et reçu par Kabila, il ne l’a presque pas salué18. Les Congolais se sont dit qu’au moins il avait compris notre message.

La liberté évoquée n’est pas le don du prince

Ceux qui entrent en clandestinité

Donc le discours qui dit que les Africains ne se sont jamais battus pour avoir leurs libertés et que c’était comme un don du prince… Pendant une année entière, en 1984, je n’ai pas pu voir mon propre père qui était en clandestinité. Tout ce combat, vous dites que c’est un don imposé par les Occidentaux ?  C’est archi faux.

Les Africains ne sont pas les naïfs que les Occidentaux décrivent
Ils seraient par un bonheur qui n’arrive pas

Les opinions occidentales veulent faire croire que les coups d’État qui se font en Afrique de l’Ouest, viennent de ce que les populations qui les approuvent auraient pensé qu’en accédant à la démocratie, la France leur rapporterait le bonheur. Et puis qu’elles se seraient rendu compte que malgré la démocratie le bonheur n’arrive pas, et donc sont retournés à la dictature.

C’est le savoir qui est la richesse

Or ce n’est pas ça ! C’est juste une manipulation de ceux qui profitent de nos richesses. Ils ont exploité ce dans notre État d’esprit nous refusons de comprendre. Tant que nous serons dans notre tête en train de nous dire que les minerais sont des richesses, l’Afrique ne sortira pas de ce trou. Elle doit comprendre que c’est le savoir qui est une richesse.

Ici, même le diamant ne vaut plus rien

La société MIBA

Prenons l’exemple de mon pays natal où il y a la grande société d’extraction minière : Miba à Bakwanga. Je suis originaire de là, et le diamant y est toujours. Mais, allez là-bas, quand on parle de la misère et de la malnutrition…

Le monopole d’une activité détruit la société agro industrielle

Tout au long du règne du diamant ont été détruites toutes les sociétés agro industrielles qui existaient. La culture a été abandonnée parce que la population entière s’est mise consacrée au diamant. Malheureusement aujourd’hui les mêmes entreprises qui achetaient les diamants naturels fabriquent des diamants synthétiques, qui sont les plus utilisés aujourd’hui. Le diamant qui est toujours là ayant perdu sa valeur voit la population basculer dans la misère.

Une problématique qui doit être propre

La production agro pastorale de l’Alsace est à destination des Alsaciens

Donc la problématique africaine aujourd’hui, que ce soit le problème d’immigration ou le problème de l’industrialisation de l’Afrique, cette vision de l’industrialisation ne doit pas affaiblir notre capacité en tant qu’africains à réfléchir pour résoudre d’abord nos propres problèmes. Je suis en train de faire une étude qui m’apprend que la majorité des industries en Alsace sont des industries agro-pastorales. Est-ce que les produits qu’ils mettent sur le marché sont vendus au Congo ? Non, ils sont à destination des Alsaciens.

Une production agro pastorale pour les Congolais

 On peut créer une industrie agro-pastorale au Congo pour les Congolais, au Burkina Faso pour nourrir les Burkinabés… C’est à ce moment-là que nous pourrons regarder les autres en face et discuter réellement de nos problèmes. Tant qu’on aura faim et qu’on n’aura pas de travail, la migration sera toujours là. La solution c’est d’amener les citoyens à ne pas prendre ces risques. »

Intervention de Mahmoud Senadji

Question de philosophies

« Voyons la Chine qui est en train de développer une philosophie. Pour elle, la science de la civilisation occidentale est dure, destructrice. Elle est tout sauf une forme d’harmonie dans le monde  tous sous le même ciel. Face à cela, la Chine apporte une nouvelle philosophie. Quant à l’Afrique, son vrai problème est de trouver sa philosophie de développement.

L’Asie a trouvé sa propre philosophie pour se développer. Le vrai problème, il est là.

Philosophie occidentale

Il y a la faillite d’un modèle occidental qu’il faut reconnaitre. Ces démocraties-là ont failli en Afrique parce qu’elles ont donné la primauté aux intérêts.

Solidarité des pays africains !

Moi je fais une petite comparaison avec l’Algérie. Regardez chez nous en Algérie, qu’est-ce qu’on a ? On a des militaires et on a une façade civile. Est-ce qu’on attend des militaires qu’ils introduisent la démocratie en Algérie ? Si les pays africains ne sont pas solidaires entre eux, nous allons toujours être les victimes. »

Intervention de Sidi Sidibé en réponse aux questions diverses de la salle

Le risque d’être assassiné pèse sur les épaules des opposants

« Je ne dirais même plus démocratie imposée, je dirais démocratie téléguidée, puisque c’est comme ça que ces pays fonctionnent. Quiconque sort de ce carcan-là sera probablement assassiné. En effet, dans l’histoire politique de l’Afrique il y a une kirielle des personnes assassinées. Que ce soit Lumumba, Thomas Sankara, la liste est longue.

Un premier texte constitutionnel africain

Je reviens sur un autre terme que je connais bien, qui est la Charte du Mandé19 (en 1230 au Mali) que nous nous appelons Kourou kan Fouga. Elle n’est pas une Charte démocratique, car elle ne traduit pas les processus ou les étapes démocratiques à suivre. On pourrait la rapprocher de la Magna Carta de Grande-Bretagne, une constitution. Nous pensons que cette charte du Mandé constitutionnelle est la première constitution historique du monde. Car c’est un texte qui met pour la première fois un cadre constitutionnel à la gestion du pouvoir.

La Charte de Mandé condamnait l’esclavage

Sur le site Teria, document photographique accompagnant l’article titré :
« Civilisations Noires » : L’Empire du Mali (IV), la Charte du Mandé » – 6 mars 2022.

Parce qu’à l’époque la société africaine était subdivisée en castes selon lesquelles étaient répartis ceux qui avaient le droit de gouverner, le droit à la royauté, le droit d’être des palefreniers, d’être cultivateurs, d’être forgerons… Dans une structuration comme ça, peut exister une constitution pas forcément synonyme de démocratie. Démocratie et constitution ne sont pas la même chose. La constitution est un cadre, en Occident celui de la démocratie. Mais la Charte de Mandé a une valeur historique dans ce qu’elle condamnait l’esclavage.

Obstacles à la vraie démocratie en Afrique

Dans ces démocraties le chef africain a trop de pouvoir

Au Sénégal on est en train de tuer l’opposant Ousmane Sonko20 à petit feu. Si la France ficèle bien des choses, l’Africain de son côté a trop de pouvoir dans sa tête. Dans ces démocraties-là, il n’est pas un président, mais il a ses sujets, ses valets… C’est ainsi depuis Senghor jusqu’à aujourd’hui. Rappelons que Senghor a été ministre en France. Le processus de mise en place de toutes ces « démocraties » a été construit. 

L’opposant Thomas Sankara

La révolution de Thomas Sankara n’a pas été issue d’une élection. Ce qui en fait une révolution, c’est que la rue était derrière lui. Ses discours étaient en rupture avec l’impérialisme. Mais cette révolution démocratique n’a duré que quatre ans, parce que François Mitterrand ne voulait pas de cette rupture de relation de la relation françafrique.

Frontex, agent de surveillance

Ces dernières années, on a octroyé des armes à l’Afrique sous l’égide de Frontex, qui sont utilisées pour brider et surveiller l’opposition. Jusqu’à la reconnaissance faciale !

Intervenant

Retour sur le discours de La Baule

Selon moi, ce discours a été une ruse de la part de François Mitterrand. Avec la chute du mur de Berlin, on ne pouvait pas soutenir les anciens pays de l’est pour qu’il y ait une démocratie sans maintenir l’Afrique sous la dépendance de la France.

La France fermait les yeux

Les élections à cette époque n’étaient pas démocratiques mais on les a laissé faire. C’est le cas pour le Togo, le Cameroun, le Gabon, la Côte d’Ivoire, etc., sauf le Sénégal. On a considéré ces pays comme démocratique et on les a soutenus.

La France devait rester une puissance

La France n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait à la démocratie en Afrique, ce qui l’intéresse c’est d’être elle-même une puissance africaine. En 1957, Mitterrand avait dit que la France ne peut pas se passer de l’Afrique noire et que sans elle la France ne peut pas être une puissance.

L’Afrique et ses frontières sont une projection de l’Europe

La situation de l’Afrique aujourd’hui n’est pas uniquement liée à des influences externes. La société civile africaine a échoué et doit s’interroger aujourd’hui sur sa propre identité. Car, quand je regarde cette carte, je vois que les États africains aujourd’hui sont les projections de l’Europe. Nous avons la capacité de sortir de cette structure et de modifier les frontières en faisant simplement des fédérations, en regroupant les États.

Une Afrique aux valeurs universelles

Nous devons réfléchie à notre manière à nous de gouverner l’Afrique démocratiquement. Mais Ce ne sont pas seulement les élections qui feront des pays des démocraties, ce sera aussi le respect des valeurs, des principes, qui sont universels. Car la démocratie ne doit pas être occidentale mais universelle. Pour atteindre notre objectif, il nous faudra soigner le contenu comme la forme. Mais je sais qu’il y a beaucoup d’africains qui effectuent ce travail de réflexion. Nous y arriverons, coûte que coûte.

Entretien sur la chaîne France 24 et RFI, daté du 6 janv. 2023, intitulé « Ousmane Sonko : « Nous n’avons rien contre la France », assure le chef de l’opposition sénégalaise »

Intervenant Sidi Sidibe

Élections truquées aux Comores

Un travail pour l’association Survie

Au sujet de la falsification des élections. En 1990 aux Comores, un événement qui a aussi été à l’origine de la consolidation de l’association Survie. Il s’agit de l’affaire des élections truquées qui a fait l’objet d’un travail par Jean Pierre Bonnet et François-Xavier Verschave.

Un militaire alerte, il est assassiné

Un militaire détaché aux Comores a rédigé et envoyé un rapport qui attestait d’élections truquées aux Comores. Ce rapport est monté jusqu’à l’Élysée. Deux semaines après, le militaire est assassiné. Jusqu’à aujourd’hui il n’y a eu aucune clarification ni de procès à ce sujet. Idem pour Sankara. Comment allons-nous sortir de ça ?

Les Africains ne se laissent pas mourir

Il faudra sortir de ce système, même dans la douleur pour nous et pour les partenaires qui imposent ça aux Africains. Avec la prédation, les Africains ne vont pas se laisser mourir.

La société civile s’est toujours battue

En fait la société civile n’a pas failli. Je ne suis pas d’accord. Il y a eu des luttes. Il y a des opposants. Ce sont eux qui ont chassé Blaise Compaoré par exemple.

C’est seulement une semaine avant son départ qu’il a été lâché par L’Élysée. Il y a même eu des suggestions dans les arcanes de l’Élysée pour lui décerner le prix Nobel de la Paix21, dans une intention de circonvenir l’opinion publique. Il fallait à la France que les Africains acceptent que cet homme-là puisse demeurer au pouvoir. On savait aussi que le procès de Thomas Sankara l’attendait.

L’ombre de la France
Rupture inévitable

La France a tellement été là, toujours là, pour ces pays-là, que cette rupture sera fondamentale.

Peut-être que la manière est brutale, pas orthodoxe, incongrue, mais en tout cas il faut qu’il y ait cette rupture brutale. Sankara l’avait dit : « Nous n’avons d’autre choix que cette rupture ». Si vous voulons vivre libres, il faut que nous vivions africains et dignes.

Quel déclencheur réel ? Sera-t-il paisible, douloureux ?

Deux poids, deux mesures

On peut légitimement espérer comme prochaine la chute de Paul Biya au Cameroun. On constate le soutien de la France au fils de Deby sans aucune élection, l’inamovibilité de Nguesso au Congo… Il y a clairement deux poids, deux mesures. C’est la schizophrénie de la France. On accepte le coup d’État de Mahamadou Deby et on veut rejeter d’autres coup d’États. On accepte un dictateur au Cameroun depuis quarante ans, dont des ministres qu’on n’a jamais vus. Ces derniers ont débarqué mais n’ont jamais vu le président, mais la France accepte ce régime…

C’est à se demander si les coups d’États ne sont pas le prolongement de la démocratie sous une autre forme !

Intervenant Sidi Sidibe

Problématique du patriarcat et de l’humanité partagée.

Le statut de la femme

Dans le monde entier, le Burkina est le premier pays à avoir supprimé dans ses lois le fait que quand on se marie, il soit dit les mots « homme » ou « femme » et qu’il soit dit que l’homme est le chef de la famille. La grande avancée que les Burkinabés avec Thomas Sankara avait été le combat pour les femmes et pour l’environnement.

Dans le code des Burkinabés, dès l’avènement de la révolution démocratique populaire, les femmes étaient sur le même plan d’égalité que les hommes. Pendant les quatre ans qui ont suivi la femme était de fait l’égale de l’homme au Burkina Faso.

Après Sankara

Les droits des femmes sont toujours dans le code, mais depuis que Sankara est parti, l’application de la réelle égalité hommes-femmes a volé en éclat. Mais il faut savoir qu’il y a eu des volontés de la part de tous ces pays-là de recouvrer leurs chemins propres, leurs destins propres. Ces tentatives ont été entravées par une main invisible, je veux dire la France.

La France est-elle d’ailleurs un état démocratique ?

Je ne me prononcerais ni par un oui ni pour un non. Je dirais qu’il y a des failles dans cette démocratie. Même à titre personnel, j’en vois aussi dans sa constitution française, qu’il faudrait corriger.

Démocratique ou pas ?

Les approches de ce concept sont à voir pays par pays. Par exemple la Grande-Bretagne a un roi. Or son roi est purement symbolique, alors qu’en France, c’est un régime présidentiel.

Le fin mot de l’histoire

La France peut-elle être un exemple pour les pays africains, dans son respect de la démocratie ? Restons-en à la définition de base : une démocratie est un état gouverné par le peuple souverain.

  1. Sur le site XXI article « À qui profite le franc CFA ?» de RÉMY HERRERA – 3 juin 2022 ↩︎
  2. Sur le site de l’association Survie « PROCÈS ELF : LE SANG DE L’AFRIQUE DERRIÈRE LES « CAISSES NOIRES » OFFSHORE » – juin 2003 ↩︎
  3. L’ouvrage de Sidi Sidibe « De mon village à l’insurrection » sur le site des éditions L’Harmattan – 21 août 2022. ↩︎
  4. La conférence du partage de l’Afrique, qui s ‘était tenue en 1 885 à Berlin, et l’effondrement en 1989 du mur qui symbolisait la fracture Est-Ouest, constituent deux dates-clés dans l’histoire des relations internationales. Elles ont chacune à leur mesure influencé le destin de l’Afrique. ↩︎
  5. Sur le site de la Revue Parlementaire : l’article « François Mitterrand et l’Afrique : retour sur le fameux discours de La Baule du 20 juin 1990 » par  ROGER KOUDÉ– 10 mai 2021. ↩︎
  6. Agence française de développement ↩︎
  7. Sur le site République française/Vie publique, article titré : Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, en réponse à une question sur les sanctions contre la Russie et les importations d’uranium naturel, à l’Assemblée nationale le 6 décembre 2022. ↩︎
  8. Sur le site Huffpost/International, article titré « Des femmes migrantes sauvées d’un camion frigorifique en France grâce à des journalistes » 28 septembre 2023. ↩︎
  9. Sur le site Terra, article titré : « Il pleut des coups d’État en Afrique : un Harmattan réformateur ? » – 10 octobre 2023. ↩︎
  10. Sur le site République française/AFD Agence française de développement, « Le groupe AFD au service des ODD ». ↩︎
  11. Dernier numéro de la revue Le monde en développement – 2023 n°202 ; Varia (développement néolibéral, OMC, démocratie, productions industrielles, agricoles et forestières, COVID 19) – Éditions De Boeck ↩︎
  12. Sur le site de l’IRIS, présentation du directeur de recherches à l’IRIS Philippe Hugon, décédé le 20 avril 2018. ↩︎
  13. Sur le site de la librairie Decitre, livre d’Antoine Glaser et Stephen Smith : « Comment la France a perdu l’Afrique » Éditions Pluriel – Septembre 2006. ↩︎
  14. Article du Cercle CREME « Alarm-Phone Sahara à Strasbourg » ↩︎
  15. Sur le site de RFI/Afrique, article titré :  » Sénégal : un opposant en garde à vue après des propos visant les présidents Macky Sall et Alassane Ouattara » – 06 juillet 2023. ↩︎
  16. Définition par François Mitterrand dans son discours de La Baule : « Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons ». ↩︎
  17. Sur le site de l’Œil de la Maison des journalistes un article titré : République démocratique du Congo : trois présidents, trois vampires et le « hasard », dans Tribune Libre par Jean-Jules Lema Landu – 26 septembre 2018. ↩︎
  18. Sur le site Jeune Afrique, article titré : « RDC : l’affront de Hollande à Kabila » – 29 octobre 2012. ↩︎
  19. Sur le site Teria l’article titré : « « Civilisations Noires » : L’Empire du Mali (IV), la Charte du Mandé » – 6 mars 2022. ↩︎
  20. Dans un entretien sur la chaîne France 24 et RFI, daté du 6 janv. 2023, intitulé « Ousmane Sonko : « Nous n’avons rien contre la France », assure le chef de l’opposition sénégalaise ». ↩︎
  21. Sur le site de l’association Survie, article titré : « Burkina Faso, Compaoré, Nobel de la paix ? Une farce » par Sissulu Mandjou Sory – 1er juin 2017. ↩︎

Lisez aussi...

Laisser un commentaire