Le camp de migrants de la place de l’Étoile : un cas d’école
Le théâtre qui se déroule place de l’Etoile, avec pour toile de fond le bâtiment de la CUS, est simplement l’illustration de ce que peut produire la politique migratoire actuelle, telle qu’elle est promue par la France et l’Europe. Le ministre Darmanin préconise d’intensifier les expulsions ? Pour connaitre le prix réel de ce type de politique, un coup d’œil sur des articles publiés, mais peu lus malheureusement, permettra de constater que le bon sens n’est pas aux manettes de ce type de déclarations. Autant d’OQTFs distribués sont autant de frais pour le contribuable, des frais exorbitants si on les compare à ceux qui devraient être alloués normalement. Car le poids financier d’un accueil digne reste, lui, dans les moyens des états, des régions, des municipalités.
En 2018, les expulsions d’étrangers en situation irrégulière ont coûté 468 millions d’euros.
En 2008, la commission des finances du Sénat évaluait le coût des reconduites à la frontière à environ 20 970 euros par personne reconduite. De son côté, la Cimade – qui intervient dans les CRA – chiffrait chacune des 19 800 expulsions de 2008 à 27 000 euros ! (pour un total de 530 millions d’Euros environ). Pour ce résultat, elle additionnait plusieurs coûts : garde et escorte des personnes retenues dans les CRA, coûts de fonctionnement des CRA, frais de restauration et blanchisserie des migrants, transport et prise en charge sanitaire et sociale, aide à l’exercice des droits, frais de fonctionnement du ministère de l’Immigration, mais aussi coût d’investissement dans la construction de nouveaux CRA et l’agrandissement d’anciens.
Cela revient à dire que l’Europe préfère affréter des avions, construire des prisons, mettre au point un système de contrôle technologiquement de plus en plus pointu, que d’accueillir simplement des personnes qui devraient être en droit de se déplacer. Car, pourquoi certains sont-ils invités à utiliser les transports aériens, ferroviaires et même automobiles librement et d’autres doivent-ils être assignés à résidence dans leur pays ? Est-ce que cela répond aux principes des Droits de l’Homme ? Toutes ces mesures consistant à construire un avenir de plus en plus carcéral, de plus en plus numérisé pour plus de contrôle, sont pour l’instant réservées aux individus désarmés et sans secours qui les subissent, à savoir les migrants, mais seront dans une prolongation mûrie de longue date pratiquées sur tous les citoyens en fonction d’un curseur entre innocence et culpabilité qui semble devoir lui aussi évoluer. Comprendre que des personnes particulièrement sans défense sont en quelque sorte cobayes de ce qui est en train de se mettre en place, n’est pas excessif. Ainsi en est-il du centre « pilote » de Samos, prison illégale qui se légitime par son caractère d’essai, de test (voir la page « Le nouveau Pacte Européen sur la Migration et l’Asile« )
Les préconisations de l’Europe et de son nouveau pacte européen ne parlent pas des coûts de telles expériences pilotes, pourtant ces coûts augmentent d’année en année, comme le budget de FRONTEX multiplié par 15 en 10 ans (voir l’article «Xénophobie business»). Des sommes astronomiques impactent les finances de l’État, et donc de chaque citoyen, tout en étoffant des gains époustouflants obtenus grâce à ces politiques, par les multinationales qui développent avec gourmandise un business d’avenir. Il n’est pas idiot de se demander si les multinationales spécialiées dans défense et la sécurité, ainsi adossées aux choix politiques et dépendant directement de ces choix, en aussi sont parties prenantes. La réponse est oui : ces multinationales sont aux tables d’écriture des appels d’offre… pour pouvoir mieux y répondre.
Ne vaudrait-il pas mieux allouer nos précieux moyens financiers à leur accueil, que de les dévoyer à l’expulsion et la traque des migrants ? Certaines personnes le font d’ailleurs avec plaisir, comme l’attestent l’existence de nombreuses associations qui œuvrent dans ce sens.
La situation à Strasbourg montre bien comment de la parole à l’acte, il y a parfois plusieurs décimales d’écart quant aux moyens financiers réels de décisions politiques au demeurant obscurantistes.
Une fois de plus, les médias ont forcé le portrait en déclarant que 80% des occupants de la place de l’Etoile sont détenteurs d’un OQTF. Après vérification sur place, la vérité en donne moins de 50%* (le Figaro du 5/09/22). De plus, ces OQTF peuvent être annulés par une procédure que tout un chacun connait pour être un croche-pied de plus fait aux étrangers pour rendre leur parcours administratif encore plus difficile. Une fois de plus, la désinvolture des médias règne quand il s’agit de personnes sans défense et sans appui sur place.
*Article du Figaro du 5 septembre 2022
Dans ce camp sont abrités par des tentes, de jour comme de nuit, par beau temps ou par temps de puie, des personnes de toutes origines, mais principalement de Géorgie et d’Albanie. Chaque cas est particulier, chaque histoire se distingue d’une autre.
Qui sont les personnes qui vivent dans ce camp ?
Une famille georgienne : le fils de 13 ans, le père qui a perdu du poids au long de sa longue route de migrants. De 80kg à un poids qui le rend filiforme et sec, joues creuses, et sans doute un peu vieilli. Le père a un diplôme d’ingénieur financier, qu’il ne peut faire reconnaitre en France qu’à condition de refaire de longues études. Il est prêt à faire n’importe quel travail, lui qui n’a pas l’expérience d’un travail physique. Il ne demande qu’à être employé dans un travail en dessous de son niveau universitaire.
Tous deux sont très accueillants, ils me proposent une chaise pour discuter.
Le fils seul parle français, l’ayant appris à l’école dans son pays. Cela fait cinq ans qu’ils sont en France. Ils ont reçu un appartement en banlieue au moment de la période Covid. Mais le Covid fini ils ont été jetés dehors, dans la rue.
Le garçon va à l’école. Lorsque je leur demande de quoi ils ont besoin : du travail et surtout, surtout, d’un toit. Le travail pas tant pour l’argent, s’ils ont à manger, mais pour donner l’exemple, pour se rendre utile, dit le garçon qui se fait l’interprète de son père. Ils attendent. L’attente est un mode de vie dans un quotidien dégradé. Ils sont patients et n’ont devant eux que l’espoir, un espoir qui se substitue aux réponses.
Ils me montrent des courriers qui disent leur situation et les difficultés qu’ils rencontrent. Le courrier explique que leur conditions de vie ont fait éclater leur famille. Le garçon vit séparé de sa sœur, puisque ses parents ont divorcé.
Sa mère a été opérée de la tête, est malade. C’est aussi pour cela qu’ils sont en France.
Je leur demande si être sur un place publique à côté de la mairie de Strasbourg, bien en évidence, est pour eux un avantage ou un inconvénient. Ils me répondent que c’est comme ça, mais que c’est vrai que c’est bien qu’on les voie.
Près d’une autre tente, une jeune fille traduit aussi pour ses parents. Elle ne sait pas grand-chose des papiers et des raisons qui les ont fait venir à Strasbourg, mais sa famille est passée par la Pologne, puis par l’Allemagne, puis par la France. Elle parle un peu de toutes ces langues, mais a appris le français à l’école, en Macédoine. Cela fait cinq ans qu’elle parle français.
Près de la tente suivante, une autre jeune fille me dit qu’elle connait des familles de ce camp qui ont un O.Q.T.F. Mais que sa famille n’en a pas. Le grand homme a rendez-vous avec un avocat qui va l’annuler. C’est une pratique classique en ce moment. La jeune fille et sa famille étaient dans les Vosges pendant quelques années, mais ils ont été l’objet d’un OQTF qui les a obligés à retourner en Albanie. Mais ils sont revenus, dit-elle, parce qu’il fallait qu’elle fasse des études. Elle avoue être assez brillante en classe. Ils avaient pourtant une maison et tout ce qu’il faut au pays. Elle doit avoir un certain poids sur les épaules cette jeune fille.
Nous parlons à une famille dont les vêtements sont étalés à sécher sur un fil et d’autres sur une branche mise à l’horizontale. Cela fait un décor inédit, avec le bâtiment de la CUS en fond, grosse pierre anguleuse. Les parents qui ne parlent pas français nous proposent des tabourets pliants pour que l’on puisse s’asseoir. L’accueil est calme et simple. La jeune fille nous dit que ses frères et sœurs sont tous scolarisés comme elle, à tous les étages du cursus, jusqu’au lycée pour sa sœur. La mère me tend un téléphone pour que je puisse parler en visio avec sa fille au lycée. Elle me dit qu’ils ont dû quitter leur pays parce que leur père était menacé. Un de leurs proches a été assassiné, parce qu’il était attaché à un groupe pour « les droits de l’homme ». La mafia et les militaires n’aiment pas les progressistes. Ils ne peuvent pas retourner dans leur pays, même s’il n’y a pas de guerre, des personnes les visent personnellement, et cela suffit à les faire fuir.
Nous rencontrons un Syrien et deux Somaliennes, dont l’une mère de deux enfants, seule à Strasbourg.
Elle nous raconte que la ville lui a proposé une chambre sans cuisine ni wc, à vingt minutes à pied de l’école des enfants. Elle est maintenant de retour dans le camp, outrée, elle qui aurait pu apprendre le français mais dont les conditions de vie l’empêchent d’entrer dans la normalité. Elle voit à quel point les conditions de vie qu’elle endure sont malsains pour ses relations à ses enfants, ne pouvant même pas avoir un endroit pour sa vie privée.
Un jeune Syrien, ingénieur informaticien, nous dit qu’il peut travailler tout de suite, parce qu’il a ses papiers. Mais que bien sûr, quand il dit qu’il n’a pas de logement, que son domicile c’est une tente place de l’Étoile, il n’a pas le travail. Il dit qu’on veut les casser, les briser. Toutes ces mesures ont pour but de les repousser encore plus. Il dit aussi que la mairie ne veut pas qu’ils parlent. Lorsqu’ils ont dit aux policiers qu’il avait des papiers en règles, ces derniers ont eu une réaction de recul, interloqués. Ils ont alors arrêté de relever les identités dans le camp.
Même les policiers sont choqués de cette situation.
Une famille avec un enfant de six ou sept ans, très maigres, me disent que le père est atteint d’une spondylarthrite ankylosante, une maladie douloureuse et invalidante qui nécessite la chimiothérapie parce qu’elle est une maladie auto-immune. Le patient et sa famille vivent dans une tente.
Des Albanais qui sont depuis un an sur la route vivent depuis six semaines en France et déclarent appeler le 115 deux à trois fois par jour et dès le matin pour savoir si un logement s’est libéré pour eux.
Une autre famille albanaise de trois personnes, amaigrie elle aussi a réussi à lever son OQTF grâce à un avocat, et recommencera une demande à la préfecture tout en cherchant un refuge.