Dans son dernier livre, « L’épreuve et la contre-épreuve », paru aux éditions Stock, Le journaliste s’exprime sur le grand basculement mondial actuel.
Edwy Plenel : « Nous sommes dans un basculement économique, climatique, politique.
Sommaire
- 1 1.La solidarité et l’internationalisme : élever la vue, s’élever au-dessus du campisme et de la pensée binaire.
- 1.1 Il y avait cette indifférence au sort des peuples.
- 1.2 Il faut un retour à la seule boussole : le souci du monde, du vivant, des autres, ce que rappelle la tradition internationaliste.
- 1.3 Or, il faut savoir tenir tous les bouts, ne pas avoir une vision hémiplégique et borgne de ce qui se passe.
- 1.4 Ne jamais céder sur l’internationalisme.
- 2 2. Il faut se secouer, se réveiller, retourner à cette solidarité avec le monde.
- 3 Sauvés par l’imaginaire, sauvés par le monde
1.La solidarité et l’internationalisme : élever la vue, s’élever au-dessus du campisme et de la pensée binaire.
« Les dictatures syriennes père et fils : si nous avions mieux accueilli, si nous avions tendu la main, nous aurions mieux pu prévenir ce qui arrive aujourd’hui.
Ce théâtre de destruction.
En 1999 il y a 23 ans, je m’étais insurgé contre les indifférents. Impérialistes, grands serbes qui attaquaient les peuples bosniaques, les musulmans, dans l’indifférence générale.
Il y avait cette indifférence au sort des peuples.
Cette façon de ne pas vouloir voir, dans des campismes déjà. Se laisser saisir dans l’enfermement national vous empêche de voir le monde et le souci des autres.
La contre épreuve n’en sera que plus dure. J’ai voulu raconter la genèse de toute cette histoire. Derrière le communisme, il y a eu des alertes en temps et en heure. Poutine : Les discours où il s’en prend à Lénine. La révolution russe n’aura duré que cinq ans. Puis Staline l’emporte sur la question des nations. À l’époque Lénine, Trotsky, sont ceux qui disent toujours qu’on ne peut pas mettre au même niveau la cause d’une nation opprimée avec le nationalisme oppresseur.
Les partis d’extrêmes droite sont aujourd’hui, une force du repli, de la haine, qui n’ont cessé de soutenir la Russie impérialiste.
Il faut un retour à la seule boussole : le souci du monde, du vivant, des autres, ce que rappelle la tradition internationaliste.
Le journaliste : Merci d’avoir osé ce texte qui apporte une hauteur de vue.
Oui, on assiste à des indignements, mais qui se positionnent dans un camp conte l’autre : le campisme. Les mêmes réflexes continuent à jouer dans le vide. Un nouvel impérialisme menace : on ne se positionne pas par rapport aux enjeux que cela représente, mais à d’autres questions malheureusement.
Nous devons nous décentrer. Toute une partie du monde est indifférente à tout cela.
Les questions sont : Que faites-vous pour la Palestine ? Votre soutien aux dictatures (Grèce des Colonels), vos post-colonialismes (la France francophone est rejetée aujourd’hui).
Or, il faut savoir tenir tous les bouts, ne pas avoir une vision hémiplégique et borgne de ce qui se passe.
La Russie est un capitalisme des plus sauvages puisqu’il est mafieux.
Il faut être capable d’être solidaire des Ukrainiens, tout en reconnaissant son propre impérialisme. Georges Orwell se rappelait qu’au début de la seconde guerre mondiale, des libéraux de la gauche anglaise disaient qu’ils faisaient la même chose en Inde. Georges Orwell répondait : « Oui, on fait des choses pas bien mais ici on a le droit de le contester, de se lever et de s’insurger.
En Russie on n’a plus le droit.
La Russie donne d’ailleurs l’exemple, puisque la Tunisie vient de faire voter une loi dans ce sens.
Il y a en ce moment une gangrène de régression des libertés. Les gens sont prisonniers des mensonges, de la propagande. Toutes les gauches ukrainiennes lancent des appels désespérés. Il faut prendre au sérieux la propagande populiste. Pour la Russie, dénazification signifie désukrainisation.
Cette idéologie a infiltré les esprits de l’armée russe : détruire, détruire, détruire.
Dans les milieux syndicalistes ukrainiens : « On est au front, on a notre propre unité, devant la loi martiale qui en profite pour remettre en cause les droits sociaux ».
L’opposition de gauche c’était de très belles personnes en France : Victor Serge, André Breton, Pierre Naville, les surréalistes en général, ils tenaient tous les bouts jusqu’à penser contre eux-mêmes.
Ne jamais céder sur l’internationalisme.
On apprend à mieux apprendre sur nous en accueillant. La solidarité à hauteur d’accueil, d’humanité.
J’étais meurtri qu’il n’y ait pas plus de manifestations pour les Syriens, pour les Ukrainiens. Pourquoi ?
On a laissé faire parce qu’on ne qualifiait pas correctement l’adversaire.
Il faut sortir de toutes les indifférences pour penser le monde. Même nous à Médiapart n’avons pas vraiment bien traité ces sujets.
Comment expliquer cet attentisme français ?
Poutine reçu à Versailles par Macron. Sarkozy a soutenu le pouvoir russe, a fait l’éloge de la grande puissance russe.
Jean Pierre Chevènement, le représentant spécial pour la France et la Russie ? qui défend pied à pied la position russe sur l’Ukraine, défend le postulat que la Crimée soit Russe, qu’il y a des « rattachistes » en Crimée, qu’il y aurait un « pluralisme » en Russie.
Chevènement, comme une autre partie de l’estabishment français qui a défendu la légitimité russe avec Bachar el Hassad. A force de voir les combats des puissances on a oublié les peuples.
Un livre noir va sortir aux édition du Seuil.
Le discours convenu c’est de renvoyer les extrêmes dos à dos. En s’exonérant à bon compte, c’est le lieu par excellence de la fascination pour la puissance financière.
Quels sont les trois grands criminels de la planète ? Gazprom (Russie), Aramco ((Arabie Saoudite) et China Energy. L’illusion de niveau de vie qu’il a adressé à son peuple, c’est la destruction de la terre, l’extraction des ressources exclusivement.
Aujourd’hui les désordres guerriers sont liés à l’urgence climatique. Ne soyons pas paralysés.
Il faut parler avec les Syriens, les Ukrainiens, ceux qui vivent l’extrême barbarie. Ceux-là ne sont pas surpris des fosses communes, des charniers, des détentions arbitraires, des exodes, des tortures, des disparitions sous contrôle. Des orphelins ukrainiens sont envoyés dans des familles en Russie.
2. Il faut se secouer, se réveiller, retourner à cette solidarité avec le monde.
Les questions migratoires, les populations qui bougent pour un monde meilleur et pour faire leur chemin, c’est en répondant à ça qu’on travaille sa propre humanité. Sinon on va chercher ce bouc émissaire à côté de soi, travailler sur soi la haine.
C’est la seule échappée, la solidarité.
Les catastrophes sont là.
Walter Benjamin, un allemand qui aimait la France disait « La catastrophe c’est que tout continue comme avant ».
On a du pain sur la planche pour retrouver cet internationalisme et cette solidarité. Pour ça il faut composer avec ces personnes coupables, composer avec l’autre. Il va falloir en passer par sortir de ce campisme illusoire.
Il va falloir avoir un imaginaire supérieur face à celui qui veut l’Occident décadent.
Face aux « Z », on doit répondre avec un imaginaire supérieur, celui de l’égalité : sans condition de genre, de peau, d’argent…
Parce qu’avant les élus, on a les droits. Nos droits sont là avant les élus.
Et notamment celui de s’informer librement. Il faut refuser toutes ces discriminations.
L’imaginaire dont je parle doit être radicalement démocratique.
Un rapport a été publié : sur « Comment les pays européens respectent les droits fondamentaux ».
J’ai rencontré une Ukrainienne de 31 ans et lui ai raconté notre combat pour la liberté de la presse. Elle était étonnée, pensant que nous n’avions pas de problème à ce niveau.
Elle me dit qu’en Ukraine ils sont encore plus radicaux qu’avant : les oligarques ne doivent plus, selon leur loi, posséder des médias.
Sauvés par l’imaginaire, sauvés par le monde
On sait maintenant que 66% des soldats de la France libre étaient des ressortissants des colonies, plus 18% de tirailleurs sénégalais. C’est le monde qui nous a sauvés.
On sait bien la trajectoire de Franz Fanon qui a rejoint la défense de la France par conviction et amour de ses valeurs, porté par l’imaginaire. Les valeurs démocratiques sont un phare.
La victoire a été permise par les imaginaires.
Jean-Sylvain Bailly disait en août 1789 que « la publicité est la sauvegarde du peuple ». Nous devons savoir ce qui est en cours, ce qui est fait en notre nom. Autrement dit, les assemblées doivent être publiques.
Soyons exigeants avec la démocratie.
Il y a eu dernièrement un sommet à Téhéran : Iran, Turquie, Russie, pour une internationale totalitaire.
Je salue les Russes de Saint Pétersbourg et de Moscou qui se sont levés contre la politique de Poutine, qui vont être traités en conséquence.
Je salue ceux qui défendent les mêmes valeurs que nous.
Notre liberté exige cette responsabilité de défendre l’essentiel. »