Le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a rendu sa décision vendredi 2 décembre 2022 dans une ordonnance, enjoignant la maire de Strasbourg de procéder à l’évacuation du camp de l’Étoile dans un délai de trois jours. Ce fut fait.

Le camp de la place de l’Étoile à Strasbourg, droit local ou pas, l’État mis en cause

Évacuation

Strasbourg : l’évacuation du 1er septembre 1939 fait suite à un ordre de la ville dès la déclaration de mobilisation générale. À l’époque, on employa le mot évacuation pour traduire l’urgence d’une fuite nécessaire pour une population trop proche de la ligne Maginot. On n’avait pas dit « expulsion ». En juillet 2022, l’évacuation de la place de l’Étoile avait pour cause le feu d’artifice. On avait dit après coup transfert, pour parler des bus affrétés pour Bouxwiller. Les déplacés sont revenus depuis.

Place de l’Étoile, un parvis de cathédrale commerciale

Chacun sait qu’en décembre 2022, l’urgence, ce sera la foire des fêtes de Noël. À Calais on dit « démantèlement », comme pour un cartel de drogue, et « jungle » pour qualifier les campements. Une jungle ça se coupe à la machette. Ou ça se dénoue, ça se trie, ça se met en fagots, mais ça ne se démantèle pas plus qu’un camp de tentes.

Mise à l’abri ou mise à l’écart ?

Pourquoi ne pas avoir employé le mot relogement ? Peut-être parce qu’il s’agit de gens pas logés. La maire Jeanne Barseghian use quant à elle du mot « mise à l’abri », plus approprié. Mais pourquoi ne pas dire ce qui s’applique ? Les disperser, les dispatcher, les distribuer, les éloigner, les déplacer, les chasser, les renvoyer, ça sonne peu ou ça sonne trop vrai.

Ils ont l’habitude

On a demandé à un cuisinier si les anguilles qu’il versait vivantes dans le bouillon n’avaient pas mal. « Pensez-vous, elles ont l’habitude » répondit-il tranquillement. Les anguilles sont comme l’eau, elles se comptent au poids ou au contenant, comme n’importe quel consommable. Un consommable, oui, comme lorsqu’on évacue de son corps les matières qui ne servent plus, lors du transit.

Les humains sont-ils une matière liquide ?

Si l’évacuation s’opère par des tuyaux, ceux de la place de l’Étoile sont éminemment symboliques, qui plus est non apparents. Tout se passe comme dans les immeubles où l’évacuation se fait parfois dans les murs et à travers les étages. Ele finit en bas, jusqu’en dessous de la cave parfois. Tout cela tend à rester caché.

Jetés avec l’eau du bain.

On est en droit de se demander vers où est évacué le problème, en même temps qu’on évacue les « migrants » . Et pourquoi n’en restait-il que 48 sur les 200 qui vivaient dans le froid, lorsque les forces de l’ordre sont arrivées le 12 décembre 2022 ?

Les sans abris vivent dans les tuyaux comme autant d’angles morts ou micro refuges qu’on ne voit plus. Combien de centaines de personnes démunies se réfugient dans les squats, les contrebas des bretelles d’autoroutes, les tentes isolées sur les rares espaces non protégés par des pierres inamovible, les forêts municipales, les hébergements chez des particuliers généreux ? Combien d’enfants vivent dans des abris bricolés dans l’urgence, faute de solutions autres ?

La fin d’un modèle

La maire Jeanne Barseghian, qui dit vouloir attaquer l’֤État pour sa défaillance à mettre à l’abri les personnes à la rue et qui a invité les autres villes de France à rejoindre son indignation, parle de « la fin d’un modèle ». Même si d’autres villes se mobilisent pour les sans abris, comme l’action portée par l’association France Urbaine, en direction des enfants migrants à la rue, les associations attendent une forte réaction de l’État français.

La maire de Strasbourgt a été la première à installer des sanitaires place de l’Étoile. À présent, elle n’a plus les moyens d’assumer le rôle social imposé par le droit local, alors que dans les autres régions ce même rôle incombe à l’État. Manifestement, elle aurait voulu être encore fidèle au modèle.

Alors, de quel modèle parle-t-elle ?

S’agit-il du flamboyant modèle occidental, que le démenti des troubles climatiques mettent à mal ?

S’agit-il du modèle France Terre d’asile, une nation championne des droits de l’homme trempée comme Obélix dans une générosité héritée des lumières ?

Aujourd’hui, l’Europe qui a signé le dernier Pacte européen sur la migration et l’asile n’est plus un phare, ni un modèle, loin s’en faut. Car si l’on trouve le mot solidarité dans ce texte, il n’apparait qu’en terme juridique évoquant l’esprit de corps des pays européens face à l’envahisseur que serait le migrant. Cette Europe-là s’apparenterait davantage à une boule à facette, en regard de ses vanités. Sa notion des droits de l’homme n’est plus vraiment radicale. Sa politique migratoire à maints égards illégale la placerait même dans une imposture.

Le nouveau modèle

Quand à Strasbourg, la ville des routes, des Strassen, elle en oublie son histoire, hélas.

À l’instar des Européens et leur pacte migratoire, le tribunal administratif n’a pas parlé de mise à l’abri. La politique européenne actuelle laisse les gens dehors ou les enferme, tel est le nouveau modèle.

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