Hervé Le Bras fustige les fausses évidences

Sur France Culture, le démographe remet les points sur les "i" à l'occasion de son nouvel essai "Il n'y aura pas de grand remplacement"

de Valérie Dubach

Hervé Le Bras, démographe et historien, directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes études (EHESS), auteur de « Le grand enfumage. Populisme et immigration dans sept pays européens » (l’Aube-Fondation Jean Jaurès) et de « Il n’y a pas de grand remplacement » est l’invité du Grand entretien sur France Culture

Hervé Le Bras étudie les ressorts du vote, notamment dans son dernier opus Il n’y a pas de grand remplacement, Grasset, 2022. Il est également l’auteur de L’âge des migration en 2017 aux éditions Autrement et est l’invité de nombreux plateaux de télévision.

Hervé Le Bras invité sur France Inter à propos de son livre « Il n’y a pas de grand remplacement »

Faut-il vraiment discuter du grand remplacement, inventé de toute pièce ?

Des figures médiatisées

Renaud Camus, repris par Eric Zemmour, ce chantre de l’exlusion, à croire qu’il n’est jamais sorti de chez lui, ont en effet jeté un pavé dans la mare. Cette formule a causé des remous qui devront au plut tôt se refermer sur l’eau des médias, tant leur vision est entachée d’erreur.

Les intervenants dans le débat

Ils sont nombreux, démographes, sociologues, géographes, politologues, associations, à être en mesure de mettre les pendules à l’heure, comme François Héran, Catherine Wihtol de Wenden, l’association La Cimade ou l’association Le Mrap. S’il est besoin, l’INSEE, référence indiscutable, appuie leurs conclusions. Des outils comme des livres ou des jeux sont encore édités pour que tout-un-chacun ait les moyens d’aller au-delà des gros titres qui, prennant tout l’espace, occultent et souvent falsifient les réalités du terrain. Hervé Le Bras, chiffres et cartes en main, dissèque ces gros mots de l’actualité. Roland Pfefferkorn et Olivier Le Cour Grandmaison analysent quant à eux les courants et impensés qui habitent la psyché française.

Les jeux et enjeux politiques

Mais imaginer le pavé oublié au fond de la mare, c’est sans compter avec les politiques migratoires occidentale actuelles, âpres aux gains, qu’ils soient électoraux ou financiers, poursuivant finalement cette même direction absurde et très onéreuse pour les pays européens, qu’est le rejet des migrants.

Cartes et chiffres des votes selon Hervé Le Bras

Le paradoxe : les cartes du vote européen d’extrême droite ne correspondent pas au terrain

En d’autre termes, d’après le démographe, ceux qui votent dans le rejet des immigrés n’ont pas à s’en plaindre, puisque d’après les cartes d’Hervé Le Bras, ils ne vivent pas dans des endroits où se concentre l’immigration.

Les chiffres de la migration actuelle en France ne donnent que 20% pour les personnes peu éduquées, l’autre bloc plus important, étant un bloc qui a fait beaucoup d’études.

Une non superposition qui va à l’inverse des discours

En France, dans les communes, et dans les autres pays européens, comme en Espagne par exemple dans les comarques, qui sont de grands cantons. « La carte des votes d’extrême droite et la carte de la présence des immigrés ne correspondent pas. Au niveau local, dans tous les pays d’Europe, la carte des votes populistes de droite et d’extrême-droite et celle de l’immigration ne se superposent pas. C’est important parce que cela va à l’inverse des discours » nous dit Hervé Le Bras.

Les votes dans les Kreise, carte des votes populistes de dr et d’extrême droite et les cartes de la présence des immigrés sont parfois inverses les unes des autres.

Le démographe voit les votes populistes persistant dans des découpages historiques anciens

Les votes d’extrême droite se distinguent dans leur fonctionnement

Il y a de fortes différences entre votes populistes et le reste des votes. Les premiers se calquent sur d’anciennes frontières, comme suivant une évolution tardive.

Dans l’ancienne Allemagne de l’ouest on vote plutôt pour les immigrés, et c’est en Allemagne de l’est que les partis anti étrangers recrutent leurs troupes.

La taille des communes et l’ascension sociale.

Les chiffres nous apprennent que plus une commune est petite et locale, plus elle vote extrême droite. Or, il y a peu d’immigrés dans les petites communes.

L’hypothèse d’Hervé Le Bras relève l’importance de l’ascension sociale. Cette dernière est plus difficile dans les petites communes, où l’on dénombre des bacheliers mais peu de cadres. C’est selon lui cette frustration qui générerait les votes anti étrangers.

Les ressorts de ces votes sont de natures différentes

Une évolution progressive

On observe aisément comment l’histoire du parti d’extrême droite fabrique les ressorts anti immigration. En Espagne, par exemple, l’immigration n’est pas d’emblée évoquée, les votes d’extême droite pousuivant plutôt un voeu d’unité nationale, en réaction à l’indépendantisme. C’est progressivement que le populiste d’extrême droite s’y est orienté contre l’immigration. Ce rejet de l’immigration n’est pas initial dans cinq des sept pays européens que sont l’Allemagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg.

La question du terrain

L’Alsace vote RN, la Bretagne non, selon une antique différence entre pays de grands champs ouverts et pays de bocages (Marc Bloch). C’est un découpage qui se fait entre vivre groupés et vivre éparpillés. En France de l’Ouest, le souci était de rejoindre ses semblables pour ne plus être isolé, contrairement au Grand Est où il était plutôt d’être les uns sur les autres.

Cela perdure, un siècle plus tard, du fait de l’automobile qui a désenclavé l’ouest. Quant à l’est, l’automobile y a séparé les personnes (faire ses courses et travailler loin de chez soi).

La question de l’ascension sociale

Ces deux histoires de territoires est et ouest nous ramènent à l’ascension sociale. À l’ouest on a un retard là-dessus (fin de l’agriculture tardive), alors que dans le Grand Nord Est, c’est fait depuis plus d’un siècle, même si sans grand progrès.

Dans le cœur des grandes villes, comme Strasbourg on ne vote pas FN (ex Milan, Londres, etc.) Un fait général fait voter plus à droite loin des grandes villes, dans tous les pays européens.

Questions à Hervé Le Bras

Certains territoires tirent-ils plus parti de la mondialisation ?

On ne reste pas dans les petites communes, c’est une cause certaine. Ce qui est plus fort, c’est davantage la faible taille de la communauté qui restreint les ambitions sociales, les aspirations. On n’y reste pas, on doit faire ses courses à l’extérieur.

Ne sous estimez-vous pas l’importance du sujet émigration ?

Même si l’argument du Brexit affirmait qu’il était la seule solution pour que le Royaume-Uni maîtrise ses frontières, l’argumentation sur la gêne que représenteraient les immigrés (vestimentaire, mode de vie, etc.) ne tient pas. C’est dans la tête. Car sur le terrain, on peut agir.

Pour Hervé Le Bras, la migration qui est naturelle a toujours été une chance pour l’humanité.

C’est dans la tête

Il n’y a pas de solution pour un problème comme celui de l’immigration, qui est hors de la réalité, contrairement aux problèmes sociaux pour lesquels on peut agir avec des aides sociales. Mais on ne peut pas agir sur ce qui est dans la tête, surtout si les partis attisent ce fantasme qui sert à justifier tout ce qui va mal.

« Un million d’immigrés, un millier de chômeurs » disait Le Pen

Ce type de formules s’inscrit comme vision du monde sur un terrain qui n’est pas réel. Il est vrai que l’immigration semble être un moteur des intentions de vote et que le schéma est aujourd’hui commun à ces partis d’extrême droite. Mais au début (à part Le Pen en France ou en Suisse Blocher) les partis d’extrême droite ne sont pas sur l’immigration. C’est seulement progressivement, alors que ces partis tendent à se rapprocher de la droite en se déradicalisant, qu’ils laissent l’espace pour une extrême droite plus radicale. En Italie ce shéma se confirme, qui a remplacé Salvini par le parti néo fasciste autoproclamé Fratelli d’Italia . Le schéma se vérifie en Autriche, en Hongrie, etc.

Et les Gilets Jaunes ?

Le phénomène nouveau des Gilets Jaunes ne correspond pas au vote d’extême droite. C’est attesté par les cartes. Il correspond plutôt à un découpage de la France par cette problématique « diagonale du vide » soulevée par le gouvernement. Le journal Le Parisien, le 17 nov 2018, a pu recueillir toutes les intentions de vote de Gilets Jaunes exprimées la veille. La cartographie qui en découle dit que la plus forte participation s’est faite dans cette grande partie de la France commençant au Nord des Ardennes et finissant au sud du Cantal (où les votes ne sont pas du tout homogènes). Cette bande qui se dépeuple (peu de services publics et autre) est l’espace géographique très particulier duquel est parti le mouvement des Gilets Jaunes, un espace qui n’a rien à voir avec les partis politiques.

Carte démographique de la France faisant état de la e différence Sud-Ouest et Nord-Est, ainsi que de la bande appelée « diagonale du vide ».
Carte INSEE analysant la présence des étrangers en France

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