Histoire de la Reichsuniversität Straßburg (RUS)

Rapport de la Commission historique

de Valérie Dubach

Notes sur la rencontre avec les quatre intervenants de l’enquête

Mardi 3 mai 2022 17h30 salle Blanche de la librairie Kleber Strasbourg

À l’initiative de qui ?

C’est sur la proposition de l’ancien président de l’Université de Strasbourg Alain Beretz et de l’actuel président, Michel Deneken, que l’Université de Strasbourg a mis en place, en 2016, une Commission historique, internationale et indépendante, dont la mission a été d’éclairer l’histoire de la Reichsuniversität Straßburg entre 1941 et 1944. Les résultats des travaux de recherche de la Commission historique ont ainsi été rendus public le 3 mai 2022, pour une présentation du rapport final devant un public nombreux.

Un pavé de 500 pages

La commission historique, menée de 2017 à 2022, ayant généré un pavé de un kilo et 500 pages, est en effet un moment important.

La somme de ce travail est d’ores et déjà disponible sur le site de l’université de Strasbourg (Voir ici)

Quatre invités : les quatre présidents de la commission

Deux historiens allemands : Florian Schmaltz (de l’institut Max Planck de Berlin – Allemagne) et Paul Weindling (Oxford Brookes University – Grande-bretagne)

Deux strasbourgeois : Christian Bonah et Mathieu Schneider (vice-président chargé de la culture).

On connaissait déjà le matériel issu de la vie des cliniques, des collections médico-scientifiques, les crimes, les politiques mémorielles, etc. de 1941 à 1944.

Quel fut l’élément déclencheur de cette enquête ?

Le choc du livre de Michel Cymès

La raison de cette commission est d’abord contingente : au moment où Michel Deneken succède à Alain Beretz à la présidence de l’université et où Michel Cymès vient à Strasbourg pour son livre « Hypocrate aux enfers ».

Auguste Hirt était déjà objet d’étude dès 1990 pour Patrick Wechsler , et ensuite Raphaël Toledano, Hans-Joachim Lang…

On savait que l’institut médico-légal recelait encore des préparations…

Qui en sont les courageux experts ?

Pour mener cette opération il fallait non seulement un sens de la responsabilité mais aussi du courage, car l’histoire est moins manichéenne qu’on veut le dire. Les experts sont indépendants, ils auront moyens et espace pour leurs travaux.

Ce sont des experts de l’histoire des recherches sur la médecine en 39/45.

Florian Schmaltz :  » Une conférence en 2005 avec des spécialistes qui disaient qu’étant donné l’ampleur des sources, il faut envisager les choses avec ambition. Ce besoin exprimé rencontre les besoins des universités. « 

Les moyens mis en oeuvre

Les moyens pour financer les travaux proviennent de la Fondation pour la Mémoire de la Schoah et de l’Université. Combien de victimes, qui étaient-elles, combien de juifs, combien de noms ? De quel point de départ ces expériences, quelles assistances du gouvernement et des universités ?

L’université à Berlin Robert Koch.

On n’avait pas d’analyse et de reconstruction de faits qui puissent mener jusqu’aux personnes victimes.

Florian Schmaltz : « On sait qu’Auschwitz est central, mais pourquoi y a-t-il plutôt des expériences avec des juifs de Pologne, des stérilisations ? Pourquoi était-ce spécifiquement des Hongrois et des Tchécoslovaques qui étaient victimes de Mengele ?

Il y avait beaucoup de résistance, de souffrance. Combien ont été tués et combien ont survécu à ces expérimentations ?

Pendant ma recherche, j’ai pu déceler une structure : « on » commence par des groupes isolés (races mixtes, africain ou asiatiques allemands produits des soldats français). »

Une recherche vertigineuse

Journaliste : « Comment avez-vous travaillé, quelles matières, quelle archives ? N’était-ce pas vertigineux ? »

Une abondance de thèses, de documents…

On a commencé par chercher partout : dans les sous-sols, dans les archives administratives de l’hôpital, poussiéreuses, des papiers oubliés dans un coin. On a retrouvé d’abord 121 thèses inconnues, puis 170 autres. À l’époque nazi, l’université produisait 3 ou 4 thèses par semaine !

Jusque dans les faux–plafonds

On a vérifié les collections, localisé les endroits. On est tombé sur des collections oubliées (combles au-dessus de faux-plafonds !). Dans l’institut d’anatomie pathologiques, les plafonds avaient cinq mètres et les armoires continuaient donc au-dessus des faux-plafonds. On a trouvé des collections de lames, de fiches…

Auguste Hirt, conscient que ses travaux et ceux de certains de ses pairs étaient contraires à l’éthique médicale, a donc cherché massivement à détruire toute trace de leur passage à Strasbourg. Nos recherchent reviennent donc à reconstituer un puzzle.

Numérisation à tour de bras

Nos équipes et notamment des doctorantes ont sillonné l’Allemagne.

On a très tôt fait le choix de numériser systématiquement tout : des dizaines de milliers de ces archives sont mises en commun et partagées. Pendant la pandémie on a eu le temps de lire tous ces clichés. Le travail était interdisciplinaire puisque les historiens se sont adjoints des compétences très diverses pour aborder ce matériel.

La Reichsuniversität fait partie d’un réseau

On sait que la Reichsuniversität faisait partie d’un réseau de liens entre les camps et les universités (Hahn und Erben = héritage des ancêtres).

Recherches menées par des médecins dans les établissements de santé

On sait que certains médecins faisaient déjà de la recherche dans les établissements, comme Niels Eugen Haagen dans un hôpital psychiatrique où il travaillait sur l’hépatite et la fièvre jaune avec les patients.

On sait qu’il y a utilisation des camps de Natzwiller (début 42) pour fournir les victimes aux recherches, « on » commande des cobayes (parfois 200) à Auschwitz. C’est ainsi que seront déportés 86 prisonniers d’Auschwitz pour être gazés à Natzwiller. Cette coordination est clairement opérée par les professeurs de la faculté de médecine.

Un réseau de trois universités

On sait que l’université de Strasbourg était une Reichsuniversität directement coordonnée et financée par le ministère impérial à Berlin. Il y avait trois universités dans les régions annexées par les nazis : en Tchécoslovaquie, l’université de Prague, en Pologne celle de Posnan et en France celle de Strasbourg, toutes trois ayant en commun dans leur sein les expérimentations nazies.

Bickenbach s’intéressait au gaz moutarde, d’autres sur aux maladies infectieuses. À quoi on ajoûte les collections de August Hirt.

Des instruments de mesure dans les camps

Ce qui faisait alors la particularité des camps était les chambres à gaz dotées d’instruments de mesure pour des expérimentations scientifiques.

Les points saillant dans ce rapport d’enquête :

Mille lames histologiques inspectées

On a pu mettre des noms, des visages et des corps dans les comptabilités macabres.

Mais sur les 1000 lames histologiques (tissus) associées au service d’August Hirt, aucune n’est associée au crime. Elles sont bien issues de la période, 197 sont attribuées à Auguste Hirt, mais aucune n’est suspectée d’être criminelle.

Recherches bio médicales 

Cependant, y a réellement eu des recherches bio médicales menées sur des victimes sur le gaz phosgène, dont les 40 victimes parmi les détenus ont pu par la suite été nommées avec précision. On a même deux témoignages précieux de deux anciens détenus.

Florian Schmaltz ayant travaillé sur le gaz phosgène, l’une des séries d’expérimentations, a une connaissance précise sur ce sujet. L’urotropine était prescrite en cas de contamination au gaz phosgène. C’est pour Otto Bickenbach et ses recherches que la chambre à gaz de Natzwiller a été aménagée. Il s’agissait d’établir le seuil qui tue, et pour ce faire, il fallait bien sûr aller jusqu’à la mort du cobaye.

Le gaz phosgène est utilisé dans la production de plastiques (il fluidifie le plastique). Il y avait des accidents industriels récurrents avec ce gaz. Les travaux sur les cobayes ont été utiles après 1945 pour prévenir en cas d’accident de gaz phosgène industriel, puisque jusque dans les années 80, les données produites par O. Bickenbach servent de base de calcul aux médecins du travail en cas d’inhalation de gaz phosgène. Ces expériences n’ayant pas pu être faites sur des animaux, les données des nazis servent à sauver des vies !

En 1988, une polémique s’est faite sur l’éthique de cette utilisation des données de Birkenbach.

Mais c’est important déjà de savoir comment ces données ont été obtenues de façon criminelle, au-delà de la grande question éthique.

Mettre des noms derrière les chiffres

En 2018 on a ouvert le pont sur cette dés-anonymisation, avec pas seulement des noms, mais des biographies.

Raphaël Toledano a travaillé sur les victimes de Eugen Haagen, utilisées pour une expérience, puis ré-utilisées (on parle de « carrière ») quand ils survivent. Ce ne sont plus des risques que l’on fait subir aux cobayes, mais des mises à mort.

Après la guerre, que deviennent les survivants ?

Après la libération, certains cobayes des nazis, par exemple des tziganes, ont tenté d’obtenir une indemnisation au ministère des finances de l’Allemagne, auquel il a suffi d’évoquer simplement leur potentiel criminel aux demandeurs, pour justifier unrefus cynique.

Un principe d’anihilation

En règle générale, dans le système des camps, les êtres humains devaient voir leur individualité gommée, annihilée.

Des résistances

Dans le cadre des recherches, on découvre deux Roms ayant survécu au gaz phosgène dans la chambre à gaz. Il y a eu des résistances, puisque l’un d’eux a résisté en ne prenant pas la pilule létale qui lui était imposée.

Et maintenant ?

Deux actions mises en place

1° Un wiki base de données 

2° Une exposition au Centre Européen du Résistant Déporté (Struthof) à partir du 6 mai prochain jusqu’au 19 mars 2023, intitulée « Exploitation multiple ».

Christian Bonah : Dans beaucoup de caves privées, on a des sources. Nous souhaitons faire une connexion avec la société civile, que s’écrive la multi-histoire alsacienne. Nous voulons rester dans une discussion.

Trois thématiques 

On pouvait savoir !

On évacue l’idée que les liens entre les camps et les facultés étaient cachés : ces liens sont un secret public

Une pseudo science

Il ne peut pas y avoir une médecine nazie. C’est une pseudo science, une pseudo médecine. Mais comment la médecine valable peut en arriver là ?

La question de la réception

Que sait-on ? A-t-on gommé cela ? Pourquoi cette réception était-elle difficile ?

Comment faire aux lendemains de la guerre, quand autour d’une table s’asseyaient des gens aussi différents qu’un ancien déporté communiste, un médecin réfugié à Clermont-Ferrand, un collabo, etc. ?

L’histoire va continuer à s’écrire

Par les échanges

L’échange avec les collectivités territoriales aura des résultats qui devront être pris à bras le corps : une matière collectée qui va être mise à disposition de la recherche. 

Encourager ce domaine de recherche

Des projets de recherches dans ce domaine doivent être encouragés, car la science doit être itérative, s’inscrire dans le temps long.

Nous avons un devoir d’information collective.

Pour dés-anonymiser les victimes

Il y a des espaces, des lieux, des bâtiments, il est important que les noms (marotte de Paul Weindling) des-anonymisent les victimes.

Un centre d’information

Il faut ouvrir un centre d’information en direction des étudiants de la fac de médecine mais aussi des professionnels de santé en général.

Les expériences de Hirt ont été faite en anatomie normale, mais l’anatomie pathologique était dirigé par Friedrich Klinge qui travaillait pour la Wehrmacht. Tous les équipements sont un apport des nazis.

Un institut d’anatomie ne découpe pas les corps en quarts, ne leur attribue pas un matricule, ni ne leur fait des incisions sur les avant-bras. On n’a pas retrouvé les têtes correspondant aux corps trouvés dans les cuves.

Elles ont possiblement été incinérées dans le crématorium de la Robertsau. Très bonne question : où sont passées les têtes ?

D’après Paul Weinling, il y avait un projet de modelage des têtes (peut-être afin garder une trace ethnologique de la race juive).

 

Lisez aussi...

Laisser un commentaire