Les 40 ans d’expérience de l’Étage

L'association réunit ses partenaires au Maillon

de Valérie Dubach

Une rétrospective de l’association l’Étage, le lieu consacré à l’accueil des jeunes de Strasbourg-centre est donnée ce samedi 26 novembre au Maillon, suivie d’une table ronde et un moment festif. Elle y retrouvera une cinquantaine de partenaires et les élus à ses côtés tout au long de son parcours passionnant.

Quelques personnalités officielles

Les partenaires importants font l’éloge de l’association l’Étage de leurs points de vue respectif en retraçant avec les acteurs sociaux les étapes de l’histoire de cette formidable association.

L’Étage « fait le job »

Véronique Stenger, actuelle présidente de l’Étage, déroule son historique personnel, qui commence dès la naissance de l’Étage à l’époque hippie des années 80, jusqu’à aujourd’hui, dans une progression où l’Étage va voir sa palette d’action s’élargir toujours plus (santé, familial, prévention et protection de l’enfance etc.). Elle réaffirme que le cœur de métier de l’Étage est le soutien aux jeunes en difficulté et indique au passage qu’en 2020 on dénombrait 511 nouveaux jeunes et en 2021 le double.

Elle se félicite du bail amphithéotique signé avec la ville, qui confère à l’Étage l’avantage de ne pas être en périphérie.

Pour ce qui est des projets actuels ou récents, la Loupiote près de la gare est évoquée, le logement intercalaire Ste Odile, l’hébergement innovant à Joséphine Becker. Mais la fierté de cette association soucieuse et rigoureuse, ce sont les 40 000 repas servis par les fenêtres pendant les quatre mois de confinement. Preuve pour Véronique Stenger que si les institutions soutiennent et suivent l’Étage, c’est qu’elle « fait le job ».

Une association de 110 salariés organisés en cinq pôles

La maire de Strasbourg Jeanne Barseghian faisant l'éloge de l'association l'Étage
La maire Jeanne Barseghian faisant l’éloge de l’Étage

La maire de Strasbourg Jeanne Barseghian réaffirme son engagement aux côtés de l’Étage et donne en exemple la dotation récente d’une juriste et d’une infirmière. Elle confirme la nécessité d’un espace de vie social pour les familles et les personnes isolées et réitère sa volonté de lutte contre toutes les formes d’exclusion et donc son voeu de faire une place à tous et toutes. La maire de Strasbourg rappelle que année 1000 personnes s’adressent à l’Étage et 600 personnes ont, grâce à l’association, une adresse postale active. Les besoins sociaux étant en augmentation et les inégalités se creusant toujours plus, elle assure un renforcement des budgets pour les associations. L’Étage compte 110 salariés organisés en cinq pôles et de nombreux bénévoles.

Jamais de répit pour l’action et l’innovation

Marie-Dominique Dreyssé dans son élocution circonstanciée

Marie-Dominique Dreyssé, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, confirme que le chifre des personnes vivant sous le seuil de pauvreté augmente dans l’Eurométropole.

Elle exprime toute son admiration pour cette association dont les membres mettaient en commun leurs maigres salaires au début, il y a quarante ans. C’était un peu utopique mais les rêves ont peu à peu pris corps.

C’est à la fin des années 90 qu’une professionnalisation et une pérennisation des emplois au sein de l’Étage ont été actés.

Dernièrement une micro-crèche y a vu le jour et l’espace Joséphine Becker accueille des sans domicile avec leurs chiens. Il n’y a jamais de répit pour l’action et l’innovation. L’ADN de l’Étage semble être un mélange d’intuition, d’agilité, une part de rêve et une forte conscience de la nécessité de la solidarité envers les jeunes.

La vice-présidente annonce un projet sur le point de se réaliser : la Maison des Familles l’année prochaine, pour poursuivre l’effort d’accueil, comme le foyer de jeunes travailleurs qui existe déjà à Cronenbourg.

Les Assises de la Protection de l’Enfance de 2022 ont fait un état des lieux de la situation actuelle.

Des outils permettent aux jeunes d’accéder au logement et à l’accompagnement.

La collectivité augmente le volume des aides d’année en année. Deux grandes réformes « le code de la justice pénale des mineurs » et « Loi Bion ». Aide sociale à l’enfant, action éducative en milieu ouvert.

Jeunes avec des troubles du comportement de plus en plus importants.

Il faut faie évoluer l’ASE

Frédéric Bierry une analyse et une volonté

Frederic Bierry, président de la Collectivité Européenne d’Alsace, évoque ces jeunes « placés » qui après 18 ans se retrouvent à la rue (30%) ce qui est pour eux un échec. Il espère que l’Étage peut-être, serait avec son expérience en capacité de dire pourquoi ces échecs. Selon lui, il faudrait faire évoluer l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance).

L’action des membres d’association comme l’Étage est celle des premiers de corvée au quotidien. Ce sont les métiers les plus difficiles, qui souffrent de carence en recrutement et d’attractivité. Or il y a motif à avoir peur de la rupture du service public.

Peu de départements disposent d’un outil d’aussi « bonne qualité » que l’Étage. Actuellement un milliard et demi sont consacrés aux personnes fragilisées.

Il faut porter haut et fort les couleurs de la solidarité.

Les actions de l’Étage contribuent à la cohésion sociale

La préfète Josiane Chevalier s’exprime devant 50 associations

La préfète Josiane Chevalier ose dire que l’Étage fait partie du patrimoine associatif local. Elle rappelle que l’État apporte sa contribution en offrant un hébergement de 10 000 places, à raison de 45 millions par an dans des contractualisations avec les collectivités régionales d’Alsace. L’aide à l’enfance est dotée de 7M d’euros.

Les besoins sont énormes. L’État contribue également à la mise en œuvre de politiques publiques comme pour l’Ukraine.

Les actions de l’Étage contribuent à la cohésion sociale. Ses initiatives permettent même à l’État de proposer toujours de nouveaux services.

Elle affirme qu’il y a actuellement un plan de relance en cours.

Le film

Production des Films Zinzolin, réalisé par Manuel Halliez et G. Merle, dont les premières images ont été tournées en 2019. Le documentaire vise à donner à comprendre ce qu’est la pratique du travail social. Il y a beaucoup d’interrogations de la part des jeunes professionnels.

Une chaine youtube propose d’autres documents vidéo pour découvrir l’association.

Le contexte français s’agissant de l’enfance en difficulté

Le sociologue Gérard Mauger indique qu’en France un tiers des ménages ne dispose d’aucun patrimoine.

Si l’on détecte un comportement d’auto-élimination face aux diplôme avant 1980, aujourd’hui il y a une massification scolaire et une diversification des filières, ce qui ne règle pas l’accès à l’emploi.

Par ailleurs y a des évictions de la cellule familiale fréquente, surtout des familles de primo arrivants étrangers.

L’évolution du vocabulaire

De l’« Enfance coupable » (revue) de 1935 à l’enfance inadaptée de 1944 où une nomenclature de ces derniers est faite en France, le regard sur l’enfant non conforme socialement évolue. Plus tard ce sera l’enfant nerveux, caractériel, puis hyperactif, puis on soupçonne que ce sont les familles qui génèrent les problèmes. Comment intervenir précocement sur ces causes ?

Solutions radicales

Sept à huit médecins, (titulaires d’une chaire en psychanalyse, des pédiatres, des neuro-psychiatres, des psychologies) réunis pour plancher sur le problème auront une influence sur les lignes d’action qui seront au nombre de trois :

  1. Une intervention efficace et déterminée sur le tissu urbain aura vocation à « dynamiter les îlots insalubres dans les villes (ex du Panier à Marseille).
  2. Toutes les encadrer avec des écoles, des jardins d’enfants, de l’action sociale, voire du scoutisme.
  3. Appuyer un accompagnement au sein des familles. Les écoles étaient chargées de repérer les enfants caractériels.  On se basait sur avancées de la pédagogie suisse du Valais dans les années 30, pédagogie curative mêlée à la psychotérapie.

Le placement des enfants en endroits fermés vivant en vase clôt essuie toujours trop d’échecs, car à 18 ans, livrés à eux-mêmes, ils ne bénéficient de plus grand-chose de la part de l’État.

Les jeunes de la « zone »

Dans les années certains jeunes n’étaient plus dans les quartiers, plus dans leurs familles, vivaient en petits groupes qui se faufilent dans les interstices, dans les coins aveugles des espaces urbains, comme les wagons stationnés dans la gare basse. Une centaine de personnes pouvaient parfois s’y réfugier, dans un permanent jeu de cache-cache avec les agents de la SNCF. Leurs ressources provenaient essentiellement de la manche (pour les pratiques les plus avouables), dont le produit était mutualisé entre eux. Pour eux cette manche se distinguait de celle des mendiants « tape-cul » classiques. Sinon c’étaient des groupes volant en bande (médicaments, drogue, alcool) ou le pigeonnage, sorte de prostitution non consommée qu’ils considéraient comme morale.

Ces jeunes étaient habillés normalement pour ne pas être repérables dans les rues. Ils se définissaient comme étant « de la zone ». Auparavant, ces personnes contraintes au nomadisme vivaient plutôt dans les quartiers peu urbanisés des villes.

L’information, à une époque où le portable n’existait pas encore, circulait d’une façon très précise et rapide néanmoins et c’était une communauté très solidaire.

L’étude de René Oberlé

L’association était au début un lieu d’éducation populaire avec le soutien et la petite contribution des églises et d’Associations protestantes (Cimade). À l’époque, ce lieu de rencontre et de liberté se présentait comme un bistrot ou un restaurant. René Oberlé a fait une étude pour les dix ans de l’Association, qui décrit l’ancien fonctionnement de l’endroit. L’accueil, la réflexion et le débat y attiraient énormément de personnes. C’était le lieu de fomentation d’idées. Des voies nouvelles y étaient explorées, dont l’évaluation se faisait après coup.

Après observation attentive des membres de l’Étage, René Oberlé, perplexe, les qualifia d’« assez habiles » : ce n’étaient pas des rêveurs.

L’Étage faisait des alliances avec d’autres Associations, sans jamais souhaiter de leadership.

Mesures d’urgence

Le 4 novembre 1989 : Strasbourg découvre ces jeunes en rupture de famille qui vivent dans les trains. En procédure d’urgence, un hôtel est affrété pour accueillir 1200 personnes. Un système de plateforme s’occupera de ces hébergements pendant 18 ans.

L’Étage se faisait fort d’être honnête dans le cadre des formations, ne faisant pas prendre des vessies pour des lanternes aux jeunes quant aux emplois visés. Ces derniers offraient un intérêt limité ! L’Étage préférait associer ces jeunes avec d’autres jeunes passionnés par ce qu’ils font pour susciter l’intérêt, l’envie, et enclencher une dynamique positive.

Ex : des ateliers de théâtre où le scénario serait de ne jamais être embauché ! Les jeunes connaissaient parfaitement les codes.

L’Étage initiait des actions de mobilisation comme une sculpture de glace place de la Cathédrale à Strasbourg ou un opéra RAP. Jean-Michel Hitter a même eu l’idée folle de leur faire construire un avion. L’avion a volé ! Les résultats de l’Étage en terme d’insertion se sont trouvées à terme supérieurs à la moyenne. Les jeunes travaillaient mais seulement pour leur salaire, ayant d’autres centre d’intérêts désormais.

Souvenirs de Jean-Michel Hitter

1988 : Le président de l’Étage, Hitter fut chargé au niveau national de travailler sur la loi RMI.

Il sera décidé finalement d’exclure les jeunes de 18 à 25 ans de la mesure, sous prétexte qu’un filet de sécurité sera mis en place pour eux. Cette décision laissera perplexes un très grand nombre d’analystes de tous bords. C’est Miche Rocard qui plus tard peut-être explicitera cette exclusion un peu sèche des jeunes, confiant à Hitter que, pour lui : « on ne peut pas tout avoir ».  

Desctiption du monde social actuel par le sociologue François Sarfati

Les jeunes sont diffamés (ne veulent plus travailler, restent sur leur portable, sont zappeurs, seulement branchés sur la lutte contre le changement climatique) au moyen de clichés.

Les jeunes ? La catégorie de l’âge n’est pas toujours une indication de ce qui structure les questions sociales. Ce qui est sûr, c’est que les jeunes rencontrent des problèmes nombreux. Le polytechnicien Bertrand Schwartz dans les années 80 essaie d’inventer des actions, tente le sur-mesure.

Des dispositifs faire=valoir…

Si les droits sociaux sont une lutte permanente, jamais finie, cette lutte est aussi un lieu d’identification sociale, que ce soit dans l’école, dans l’église ou dans l’armée. De trop nombreuses personnes publiques imaginent des dispositifs où ils peuvent accrocher leurs noms. Le résultat est qu’on ne peut plus compter ces dispositifs ciblés sur les jeunes !

Et des personnels sociaux croulant sous la paperasse

Les professionnels de l’action sociale passent leur temps à réactualiser leurs formulaires sur le « bon cerfa ». Ils sont pris dans ces tensions, et du point de vue des jeunes se trouvent confrontés à un maquis de droits, ce bien connu mille-feuille (on compte des dispositifs nationaux, départementaux, régionaux, intercommunaux, etc.). Mais ces dispositifs ciblés et donc restrictifs, font que les acteurs sociaux se voient abandonner les chemins du droit pour nombre de ces jeunes.

Reporting et concurrence des acteurs sociaux

Pire, l’état central met en concurrence les acteurs, pendant qu’une large partie du temps professionnel est consacré à faire du reporting pour rendre des comptes aux financeurs. On distingue maintenant dans cette optique le pauvre méritant du pauvre profiteur. Le new public management est un recentrement toujours plus fort du thème de l’emploi. C’est même un gouvernement par l’emploi pour ce qui est de la formation des jeunes, puisque tout ce qu’on va transmettre aux jeunes sera l’employabilité.

Le gouvernement de l’emploi

L’essentiel des acteurs de jeunesse sont mués en intermédiaires à l’entrée du monde du travail.

Mais ce n’est pas tout, il y a une deuxième épreuve : garder le travail si on l’a. Les consignes seront alors docilité et adaptabilité.

« Du moment qu’il est à l’heure, qu’il accepte de faire ce qu’on lui demande et qu’il ferme sa gueule » est l’exigence des nouveaux patrons.

C’est le hope labour, consistant à accepter de travailler à n’importe quel prix. On ballade les jeunes d’apprentissages en stages et en CDD. Certaines tâches sont déléguées à des services civiques. Ce régime fait de l’engagement dans le sous-emploi.

Conclusion

Le rôle du face-à-face presque volé au temps de travail, une approche qui puisse se détourner de l’atelier CV, semble être ce qui fait la différence. Seule cette approche est à même d’éveiller un enthousiasme chez les jeunes. Le face-à-face est un peu lutter contre le gouvernement par l’emploi, mais aussi chercher des formes alternatives pour émanciper la jeunesse.

Un bilan morne

Le décloisonnement de ces dispositifs a-t-il réussi ? A condition de ne pas s’y cantonner, car parfois l’Étage est le seul et ultime interlocuteur, car le jeune invisible ne l’est plus à l’Étage, qui n’a pas une logique frontale.

Il y a certainement 1,5M de jeunes en déshérence, mais les budgets ne peuvent prendre en compte seulement 400 000 d’entre eux. Les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Le ou la jeune doit avoir le temps de rentrer dans son histoire.

C’est pourquoi le revenu universel serait la solution. La question du reporting (ou communication des données) est aussi une question importante dans le sens qu’il est mal vécu dans le monde du social qui considère que ce n’est pas éthique, en plus de prendre une part du temps de travail considérable.

L’Étage est-il toujours aussi frondeur ?

Non, si fronde il y a, elle est à l’initiative du directeur qui peut consacrer 10 à 20% de son temps à des actions plus personnelles et autonomes.

Le monde politico social n’est pas le même qu’il y a 40 ans. Les acteurs doivent des comptes aux financeurs, aux tutelles, aux autorités de contrôle sous peine de se faire sortir.

Un rôle non négligeable de l’Étage consiste à inciter les jeunes à aller voter

L’Étage s’applique également à transmettre l’engagement citoyen à tous les visiteurs et visiteuses, c’est-à-dire à aller voter.

Pour finir une usine à gaz

La situation de l’action sociale est au cœur d’un paradoxe : il est notoire que les dispositifs ne devraient pas exister, car trop stricts et exclusifs de certains publics alors même que l’État exhorte à éliminer les inégalités. Ce paradoxe est doublé du fait que l’État installe une usine à gaz juridique au nom du contrôle des populations et des professionnels de l’aide à la jeunesse, alors que les acteurs doivent consacrer leur précieux temps à l’aide et au soutien. Or ils croulent sous l’administratif.

Des bénéficiaires sont exclus, alors que l’argent est là. Si l’on considère qu’une année de classe préparatoire coûte 15000 € à l’État, que représentent 7000 € qui seraient nécessaires pour prendre en charge un jeune ?

Tout cela est structuré par les inégalités sociales.

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1 commentaire

Spengler Pascale 12 décembre 2022 - 14:52

Article qui décrit avec beaucoup de précision et très justement un état des lieux …

Il fait écho ou bien il résonne étrangement avec l’écriture de Joseph Ponthus /à la ligne/feuillets d’usine …

Je recommande vivement la lecture de ce livre.

Il parle tout simplement de conditions de travail déshumanisantes des ouvriers et des ouvriers intérimaires dans les abattoirs et les usines agroalimentaires.

C’est fantastique tout ce qu’on peut supporter écrit Guillaume Apollinaire à Madeleine Pagès le 30 novembre 1915

A lire

Par amour de la poésie

Par goût des lettres

Par solidarité avec ceux qui travaillent à s’en briser le corps

A la chaîne

A la ligne

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