Les réparations de l’esclavage

Conférence organisée par le CERAG

de Valérie Dubach

Restitution de la conférence organisée par le CERAG1 (cercle européen de représentation des antillais de la Guyane) et en présence du MRAP Strasbourg et d’autres associations.

Grégory Thuan et Eric Cakpo (de gauche à droite) à la Maison des Associations

Mercredi le 26 avril à la Maison des Associations Strasbourg

Restitution de la conférence animée par les intervenants Eric Capo et Me Gregory Thuan.

Introduction : « En ce mois de commémoration de la traite de l’esclavage et son abolition, nous commençons à vivre un peu partout dans l’hexagone les mémoires coordonnées par le Fondation des Mémoires de l’Esclavage (FME). »

Peut-on réparer ?

Eric Cakpo, ancien chercheur, enseignant et maitre de conférences à l’université de Lorraine à Metz, historien des civilisations. Il est spécialiste de l’hybridité culturelle, des relations en Occident, en Afrique et dans les Caraïbes. Il s’intéresse aux trajectoires convergentes de cultures, aux rencontres où des phénomènes se mettent à l’œuvre.

« Les réparations sont un sujet complexe qui depuis le 18ème siècle préoccupe les personnes esclavisées et leurs descendants.

Un sujet comportant des questions comme 

  • Faut-il accorder des réparations à l’esclavage et si oui, de quel type ? 
  • Est-ce un crime ? 

Découle des deux premières les suivantes :

  • Peut-on établir une juste mesure entre le préjudice et les réparations attenantes à cela ? 
  • Quelle seront leurs modalités? Seront-elles morales ou symboliques, sur le plan culturel en une reconnaissance des cultures issues des personnes esclavisée ? Ou bien seront-elles financières ? À travers une aide au développement ou à l’effacement de dettes et des indemnités versées à titre individuel ou collectif ? 
  • Qui doit réparer, les anciens états négriers, les entrepreneurs bénéficiaires ?
  • À qui doit-on attribuer ces indemnités, les États africains, les anciennes colonies ?

Aimé Césaire et Christiane Taubira résument par leurs mots la complexité du sujet

Aimé Césaire en 2001 dans l’Express2 dira qu’« Il n’y a pas de réparation possible pour quelque chose d’irréparable et non quantifiable ».

Christiane Taubira3 à l’agence France Presse dira en 2021 que « Le débat est interminable parce que les dégâts sont irréparables ».

Le crime est irréparable, et pourtant

Depuis le 18ème siècle, des déclarations de demandes de réparations se présentent sous des aspects matériels ou symboliques. Il faut noter que les réparations sont toujours au pluriel.

Une terminologie n’est apparue dans le cadre juridique qu’au XXème siècle, après les deux guerres mondiales. Elle s’inspirèrent, des réparations adressées à l’Allemagne dans le Droit International. Le terme « réparations » comporte l’idée de corriger les torts du passé.

Historique

18ème siècle

Il y a eu des traités transatlantiques dans ce sens déjà au 18ème siècle avant l’abolition de l’esclavage. On a retrouvé dans des travaux des historiens, des documents où des esclaves nommés demandaient des « expiations » ou des « indemnisations ».

Il y avait aussi des demandes de libération d’esclaves, ainsi que des versements d’indemnités à ces esclaves-là pour le travail fourni.

Le cas « Bélinda » est très intéressant (Belinda Petition)4. Belinda Sutton, considérée comme la première esclave affranchie ayant bénéficié d’un versement de compensation financière au titre de l’esclavage, est originaire du Ghana. Elle fut enlevée à douze ans et vendue comme esclave à une famille, Isaac Royall, devenue très riche. Le père a légué ses esclaves à son fils Isaac Royall Junior, qui dût fuir les États-Unis lors de la guerre d’indépendance, pour se réfugier en Angleterre. En partant il a dans son testament déclaré affranchir Bélinda et lui donner une somme de trente livres pendant trois ans.

Réfugiée au Massachussetts, Belinda qui, au bout de ces trois années redeviendra pauvre, rédige avec l’aide d’un avocat une pétition. Il y est demandé que l’on continue de lui verser une indemnité au titre de l’esclavage, car elle a contribué à la richesse de son patron. L’État du Massachussetts, qui a confisqué les biens d’Isaac Royall, a répondu favorablement à sa demande. Il lui verse alors l’indemnité pendant deux autres années. Bélinda fit d’autres demandes jusqu’en 1793.

19ème siècle 

Il y a un trou entre le cas Bélinda au 18ème et le XXème siècle. Le 19ème siècle est le siècle des abolitions. Aux États-Unis, y a eu quelques versements prévus pour les esclaves affranchis. Mais aucun versement collectif.

Une promesse fut faite aux esclaves d’approprier un espace au niveau de l’atlantique de 1600 km² pour les attribuer aux anciens esclaves, sous la forme d’un versement de quarante acres (16 hectares) et une mule5, par un principe voté après la guerre de Sécession. Mais le président suivant ne tint pas cette promesse de la présidence d’Abraham Lincoln.

Les Loi Jim Crow éminemment racistes ne permirent pas de satisfaction à ce niveau-là.

Au XXème siècle furent attribuées des indemnisations collectives aux victimes du nazisme. Il y eu à cette époque l’émergence de groupes créés pour se mettre dans cette mouvance de réclamations.

Aux États-Unis, un Comité des réparations pour les descendants des esclaves américains a pour action emblématique la création de livrets.

Un autre mouvement, le groupe « République de la nouvelle Afrique », demande la cession dans le sud des États-Unis d’un espace pour la création d’un état noir indépendant. Il demande aussi le versement de 10 000 dollars à chaque personne noire pour des réparations, comme une première étape vers un long processus de guérison des torts causés par l’esclavage et le racisme.

Le contexte du mouvement des droits civiques, avec la naissance du Black Power, a contribué à l’émergence de groupes allant dans le sens des réclamations.

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Émergence de nouveaux groupes situés dans les initiatives de réclamations. En 1992, en Afrique naissance du groupe « des personnalités éminentes », des intellectuels et de quelques personnes influentes ayant pesé de leur poids dans le cadre de la diplomatie pour faire avancer le débat.

Pour ce qui est de l’Afrique et de la France 

En Afrique, en 1993, il y eut la conférence d’Abu Dira, qui prône le panafricanisme, sous l’initiative de richissime homme d’affaire nigérian Abiola6. La majorité des réclamations posées par cette conférence consistait en des transferts de capitaux ou d’annulation de dettes publiques.

En France c’est dans les années 90, lors de la marche du 3 mai 1998 (entre 20 000 et 40 000 français d’origine caribéenne et autres de Seine St Denis), il y eu des choses significatives, dans la réclamation de la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Mais aussi le Coffad7 né aussi en Seine St Denis (Collectif des filles et fils d’Africains déportés), créé par Assani Fassassi8 originaire du Bénin, dont les réclamations seront plutôt matérielles, se situant dans la ligne des rémunérations versées aux descendants des familles juives.

Le mouvement Black Live Matter9 est une grande avancée récente. L’année dernière le Congrès a voté un projet de loi qui initie un groupe de travail d’experts devant réfléchir sur la mise en place d’indemnités financières pour environ 4 millions d’afro-descendants.

Plus tôt, des initiatives émanèrent de plusieurs universités ayant un passé esclavagiste, comme Harvard et Georgestown.

À Georgestown, université créée par les jésuites (la plus grande compagnie religieuse esclavagiste), 270 esclaves ayant été vendus pour la somme de 3,3 millions de dollars allés droit à leur caisse, l’initiative émane de groupes constitués par des étudiants. Des excuses officielles et publiques sont alors présentées ainsi qu’une proposition d’admission préférentielle par des descendants d’esclaves. Une proposition de levée de fonds d’un milliard de dollars n’a cependant jamais abouti. Mais les jésuites ont décidé de constituer un fond de 100 millions de dollars.

Harvard aussi a constitué un fond de 100 millions pour des recherche contre le racisme et l’esclavage.

La ville d’Evanston près de Chicago a proposé d’indemniser10 les habitants noirs à hauteur de 10 millions de dollars en dix ans. Cette mesure est une exception et seulement quelques familles ont-elles pu en bénéficier. Des débats ont été crées par le fait que les fonds constitués sont issus d’impôts sur la drogue. Les 25 000 euros versés à seulement 16 familles sont exclusivement voués à l’accession immobilière ou le financement de travaux.

La loi du 21 mai 2001 (Taubira)11 proclame à l’échelle de l’Afrique l’esclavage comme crime contre l’humanité. 

Une action

Une action menée par la communauté des Caraïbes CARICOM. Un groupe de réparation instaurées en dix points constitue un modèle du genre. »

Les principales mesures

Voici les principales mesures12 proposées dans le cadre des travaux de CARICOM :

1 • Des excuses pleines et formelles, par apposition aux « expressions de que certains pays ont pu formuler. Néanmoins, les excuses, toujours restées en marge des réflexions mémorielles liées à l’esclavage, sont largement insuffisantes. Elles sont souvent exprimées pour servir des finalités plus stratégiques, inscrites dans un agenda politique de circonstance et de rapports de force.

2 • Le rapatriement des descendants de plus de 12 millions d’Africains enlevés et déportés vers les Caraïbes comme esclaves, réduits à l’état de bétail et de bien meubles, à rentrer d’où ils viennent.

3 • un programme de développement pour les populations indigènes ayant survécu au génocide. Dans ce cas, il faudra veiller à ce que la priorité de ce modèle de développement ne soit pas le marché mais l’amélioration des conditions de vie des habitant.e.s, en particulier en termes de services publics.

4 • Des institutions culturelles permettant de transmettre la mémoire des victimes et

de leurs descendants.

5 • Des moyens alloués à la « crise de santé publique » que connaissent les Caraïbes.

Les Caraïbes étant la région qui a la plus forte incidence de maladies chroniques qui émane directement de I ‘expérience nutritionnelle, de la violence psychologique et de manière plus générale des formes de détresses associées à I ‘esclavage, le génocide et l’apartheid.

6 • L’éradication de l’illettrisme, les populations noires et indigènes ayant été laissées dans une situation d’illettrisme généralisé après l’indépendance, particulièrement dans les colonies anglaises.

7 • un Programme d’enseignement africain, afin de renseigner les Afro descendants sur leurs racines.

8 • Un programme de réhabilitation psychologique pour le soin et la réparation des populations afro-descendantes_

9 • un transfert de technologie pour avoir un meilleur accès à la science et la culture technologique mondiale. Ce transfert joue un rôle particulièrement important dans le besoin de faire face aux conséquences du réchauffement climatique ainsi que pour permettre de mettre en œuvre une transition énergétique.

10 • L’annulation de toutes les dettes pour mettre fin à « l’enchaînement fiscal » que connait la Caraïbe depuis a libération de l’esclavage et du colonialisme.

 


Gregory Thuan avocat du barreau de Strasbourg, l’un des rares avocats dans l’hexagone ayant des mandats de représentation de défense des peuples indigènes et autochtones (des éleveurs de rennes en fédération de Russie, amérindiens au Massachussetts, piroguiers Saramaka de Guyane). Il débattra des questions des réparations en droit international, ainsi que les avantages et inconvénients du droit national français sous la forme civile sur ces sujets. 

On y voit des avancées depuis 2016, où un groupe d’experts sous le Haut-Commissariat des Droits de l’Homme recommandera notamment l’érection de monuments mémoriaux pour faciliter la réflexion. Ce seront autant d’occasions de traiter ces faits historiques. Mais les nations unies donneront aussi des réponses à travers une justice réparatrice. Celle-ci répondait au concept, très actuel en ce moment, d’auteur d’infraction pénale face à une victime. Un film illustre cette vision « Je verrai toujours vos visages »13, mais dans le domaine des infractions sexuelles.

  1. Pour ce qui est des réparations, en droit à cette question plus que complexe on peut même dire que l’on n’a pas encore de réponse, mais seulement des ébauches de réponses et des déclarations de principes. Il n’existe pas de corpus juridique donnant des clés.
  2. Le droit international public reconnait l’esclavagisme comme une pratique inhumaine et intolérable.
  3. L’esclavage est interdit. La CEDH par l’art 4 de 1948 interdit la mise en esclavage, le travail forcé et la mise en servitude.
  4. D’autres lois comme celle de 1956, des conventions (29 et 182), rattachées à l’organisation internationale du travail. Toutes ces conventions sont élaborées à la suite de la deuxième guerre mondiale après 1945. Le problème est que les faits se sont passés des siècles auparavant et il faut faire comprendre au juge les liens de causalité de ce qui est subi au 16ème, 17ème siècle.
  5. En droit international on a un principe de réparation issu du droit latin pour les occidentaux sous la forme notamment du retour au statu quo ante. Tous les mouvements sont basés sur ce concept occidental.

Extrait sur les réparations inversées14 :

« La question des réparations de l’esclavage, de leur justification et de leurs modalités, a connu sa première médiatisation d’envergure en France au tout début du quinquennat de François Hollande. À l’été 2012, des associations comme le Cran (Conseil représentatif des associations noires) quiportèrent la cause devant le cabinet du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Si ce moment politique cristallise assurément un enjeu jusqu’alors largement ignoré du grand public, ce problème connaît une « carrière » plus ancienne. La controverse date en fait de la seconde abolition de l’esclavage en 1848, mais de manière inversée, pourrait-on dire. Car on versa des indemnités, mais pas aux esclaves eux-mêmes ou à leurs descendants. Elles allèrent en fait aux plus riches planteurs, pour le « préjudice économique subi du fait de la sortie du système esclavagiste. »

Dans les grandes lignes, le décret de 1948 considère que « l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine et qu’en détruisant le libre-arbitre de l’homme il supprime le principe naturel du droit et du devoir ». D’autre part, il considère l’esclavage comme « une violation flagrante du dogme républicain « liberté-égalité-fraternité ». Mais encore, le décret ajoûte que, considérant que « si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition en 1794 il en pourrait résulter dans les colonies le plus déplorable désordre. »

On voit bien que c’était une certaine forme de paix pour mettre fin aux différentes insurrections.

Pendant longtemps en France on n’a pas beaucoup débattu15 la question, hormis la réparation inversée (décret 1848,) On a aussi débattu la question d’Haïti, lors de son indépendance de 1804 où elle eut pour obligation de verser à la France un préjudice économique. Pour la perte de cet espace économique, Haïti dut payer 150 millions or (ce qui équivaut en 2023 à 21 milliards de dollars américains). Le président d’Haïti a tenté de demander à la France le remboursement de cette dette. L’affaire a été portée en arbitrage de la cour de Washington et Haïti a perdu.

Hormis la réparation inversée due à l’abolition en France il n’y a pas eu grand-chose jusqu’en 1998 effectivement. C’est l’année des 150 ans d’anniversaire de l’abolition a été l’année décisive où le COFFAD a organisé le colloque à l’UNESCO le 6 et 7 mai, où il posait la question : « la traite négrière est-il un crime contre l’Humanité ?». On va recevoir la réponse par la loi de Christiane Taubira en 2001.

C’est une loi mémorielle ou déclarative (pas normative) qui reconnait la responsabilité de la république française à partir du 15ème siècle, à l’encontre des populations malgaches, africaines, amérindiennes et indiennes. La loi déclare qu’elle constitue en effet un crime contre l’humanité.

Ce fut un débat très long pour, seulement, une qualification du crime. Mais qu’est-ce qu’un crime contre l’humanité ? C’est « un crime grave d’une certaine intensité et qui touche une masse de personnes elle aussi importante ».

Il aurait fallu aller plus loin dans la reconnaissance d’un crime encore plus grave qui est le génocide. Car l’esclavage est avec un système pensé, assumé à l’époque, d’une déstructuration et d’une dépersonnalisation de l’esclave vu comme un objet ou un sous-homme pouvant être manipulé par son maitre qui a droit de vie ou de mort sur lui ou elle. L’occasion a été manquée d’aller encore plus loin dans l’échelle de la gravité.

L’objectif du COFFAD était de faire reconnaitre la plus grande gravité pouvant s’apparenter à un génocide. Une telle reconnaissance pourait selon lui ouvrir la voie à des réparations. Le COFFAD avait porté plainte contre différentes institutions bancaires pour avoir profité de l’esclavage. Ces plaintes visaient différentes entreprises commerciales, mais aussil’ensemble des états européens. Ils n’oublia pas certaines puissances islamiques qui pratiquaient elles aussi l’esclavage. À l’instar de certains corps constitués, comme la magistrature, pour appliquer le code noir, elles incriminaient également l’ordre des médecins pour la pratique des mutilations ou des stérilisations en masse.

Ces plaintes ont été classées sans suite ou déboutées.

La loi Taubira, qui a représenté deux ans de préparation (de février 2019 à mai 2020), a de son côté été amputée lors des débats. L’amputation a porté sur un article de la loi qui était précisément de constituer un comité d’experts. Un tel comité aurait été chargé de réfléchir aux critères les plus équitables pour l’élaboration d’une grille de lecture permettant d’indemniser matériellement les descendants d’esclaves. Mais Christiane Taubira a dû lâcher du lest pour que sa loi passe.

Restent les réparations autres que financières. Moralement, on peut réparer à travers des actes symboliques comme la reconnaissance du crime, de la souffrance. Culturellement, à travers l’enseignement, les politiques publiques, culturelles. Matériellement, par les aides au développement qui doivent être bien supérieures au niveau auquel elles sont. À commencer par un effacement de la dette dans un champ géopolitique, voire individuelle. Cela peut être sous forme d’un transfert de technologie, comme au moment du covid celui des vaccins.

La France a été parmi les pays qui ont freiné cette initiative qui était pourtant de bon sens.

Il n’y a pas eu de traduction indemnitaire de la loi Taubira, vue comme une loi déclarative et purement mémorielle.

Une procédure judiciaire16 initiée en mai 2005, montée jusqu’à la Cour de cassation, est intéressante. Elle est à l’initiative de deux associations, le Mouvement international pour les réparations (MIR) et le Conseil mondial de la diaspora panafricaine (CMDPA). Avec 65 personnes physiques toutes descendantes d’esclaves, elles ont assigné l’État français devant la chambre civile du tribunal de grande instance de Fort de France.

L’État français représenté par un agent judiciaire fut confronté à sa responsabilité dans la traite négrière transatlantique et dans l’océan indien.

Le juge devait établir un comité d’experts pour l’évaluation du préjudice moral et matériel subi par les descendants d’esclaves. La demande : un versement de 20 millions d’euros à la Fondation des Réparations basée à Fort-de-France.

Un lien de causalité difficile à prouver

Les martiniquais, qui devaient déjà retrouver le numéro de l’esclave sur un ancien registre, se sont trouvés face au rejet de l’argumentaire de l’héritage par le tribunal de Grande instance.

Or justement, tout un pan de l’argumentaire de ces associations consistait à considérer ce crime si profond dans la déstructuration du peuple africain ramené dans les îles des Caraïbes, que les effets se font encore sentir aujourd’hui. Mais cela n’a pas convaincu le juge. Ce dernier a plutôt retenu l’inverse en disant que le préjudice n’était pas suffisamment rattachable au crime subi. Les ancêtres ne peuvent en effet plus témoigner.

Car en réparation civile, il faut démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité. La Taubira n’a pas reconnu directement la responsabilité de la France. Ce n’est qu’implicitement que la France est responsable. Le juge ne trouve pas de lien de causalité entre le dommage subi 200 ans avant et le dommage actuel.

C’est un recul. La cour d’appel a confirmé la décision du juge et la Cour de cassation a rejeté le recours.

Une occasion manquée

Il aurait fallu à l’époque porter l’affaire devant la cour européenne des droits de l’homme.

Du point de vue français, l’angle du droit civil à la réparation s’avère trop contraint. Il est pratiquement impossible d’obtenir gain de cause si on applique la matrice actuelle du droit qui est d’interprétation stricte.

Le Brésil a développé d’autres pistes par exemple. Initiées par le mouvement des droits datant de 1930.

Étant donné que 48% du peuple brésilien est d’origine afro-brésilien, la demande de réparation semblait excessive. C’est pourquoi ils ont préféré à la réparation matérielle demander ce qu’on appelle dans l’anthropologie du droit humain : l’accès à la « pleine citoyenneté ». En ce sens, ils se sont focalisés sur une conception plus anglo-saxonne du droit à la réparation. Il s’agit du droit de bénéficier de ce qu’ils appellent les « affirmative actions », chez nous la « discrimination positive ».

La moitié du peuple brésilien aurait droit à des réparations matérielles. Mais l’importance démographique des demandeurs ferait que ce type de réparations mettrait à genoux le budget brésilien.

Quelques résultats furent les accès privilégiés à l’université, les bourses d’étude à spectre large.

Mais en France nous avons un dogme républicain qui n’a pas tendance à croire à la discrimination positive. Le socle républicain est un socle égalitaire et doit le rester.

En réparant un préjudice, vous y mettez fin. Or, ce n’est presque que le début ! Un chèque ne solutionnera pas le problème.

D’autres pistes :

1. Il faudrait une impulsion en droit international public.

2. Quid de la justice réparatrice ?  Pour cela il faut un accord vraiment sincère des deux parties. C’est une belle justice même si elle ne convainc pas tout le monde.

Justice réparatrice

« Le concept de justice réparatrice a pour but d’associer en complément de la réponse juridictionnelle un auteur d’infraction pénale et une victime, selon des modalités diverses, en vue d’envisager ensemble les conséquences de l’acte, et le cas échéant, de trouver des solutions pour le dépasser, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale. » 

Certaines critiques déconseillent à un certain niveau de violence de s’engager sur la voie de la médiation (dans le cas d’infraction sexuelle sur mineurs, pédophilie, inceste).

3. Il faut une réponse morale et culturelle. Morale avec la reconnaissance symbolique, avec des commémorations, des lieux de commémoration, des places, des rues, des journées, et d’un point de vue culturel, c’est l’éducation. Il faut également une reconnaissance de l’apport de la culture des descendants africains.

4. En droit national, on met sur la place publique le droit à un environnement sain et équilibré. C’est un sujet légitime et important dans lequel il y a aussi l’obligation pour les états d’éducation. On pourrait tout à fait faire la même chose avec l’esclavage : mettre à la charge des états une véritable obligation, dès le plus jeune âge, de leur enseigner ce qu’a été la traite, l’esclavage. L’État doit se regarder en face en acceptant d’avoir contribué à cette déstructuration durable d’un point de vue social, des groupes qui ont été esclavisés.

L’accent doit être mis là et sur les politiques publiques.

5. Il est nécessaire d’acter au niveau géopolitique l’effacement de la dette et revoir les politiques migratoires. Pour Me Gregory Thuan, une idée est de contribuer par l’accueil. Les intéressés pourraient retourner dans leurs pays d’origine, armés d’outils qu’il ont pu acquérir en Europe. Un transfert de savoirs et de savoirs technologiques devrait permettre à ces migrants qui viennent en Europe d’améliorer la situation. En effet, ils doivent pouvoir repartir chez eux armés, avec un niveau éducatif équivalent aux peuples d’accueil.

 


 

NOTES

  1. Page Facebook du CERAG ↩︎
  2. Aimé Césaire dans le journal L’Express en 2001 ↩︎
  3. Propos de Christiane Taubira relayés par le journal Ouest France le 5 mai 2021 ↩︎
  4. Histoire de Belinda Sutton ou Belinda Royall sur le site Agora Afrique ↩︎
  5. Commentaire par Emmanuel Riondé, sur le site de la revue Regards.fr, du livre De l’esclavage aux réparations, les textes clés d’hier et d’aujourd’hui ,textes réunis et présentés par Louis-Georges Tin. Ed. Les petits matins, 190 p. 5 €. ↩︎
  6. ↩︎

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