Portrait de Madjiguène Cissé par Valérie Dubach à partir d'une photo de Sébastien Dolidon
Portrait de Madjiguène Cissé par Valérie Dubach
à partir d’une photo de Sébastien Dolidon

Madjiguène Cissé s’exprimant auprès des journalistes en 1996. Crédit photo : Bouba Touré


La disparition le 15 mai 2023 à Dakar d’une femme d’avant-garde comme Madjiguène Cissé est assurément une grande perte. Cette intellectuelle, autrice de livre « Paroles de sans-papiers »1 fut aussi à l’initiative de la première Coordination Nationale des Sans-papiers (CNSP) de 1996, suite à l’occupation de l’Église Saint Bernard à Paris. Par la suite elle fut meneuse en Afrique dans son pays le Sénégal de multiples actions progressistes auprès des femmes, à travers son association Refdaf (Réseau des femmes pour le développement durable en Afrique).

Chacune de ses interventions médiatique était une opportunité pour elle de poser avec des mots simples et clairs le fond de sa pensée, ses mots qui percutent.

L’article suivant se base sur l’entretien de Madjiguène Cissé avec Carine Eff et Patrick Mony2 datant de janvier 2007, paru dans la revue Vacarme n°48 (1), ainsi que sur d’autres entretiens, articles, textes et documents filmés.

Sommaire

La ligne de Madjiguène Cissé

Avec peu de mots, Madjiguène savait se faire percutante, moderne, avisée, inoubliable.

Cette pionnière était aussi une femme progressiste à la vision du monde éclairée : sa description de la femme africaine pouvait parfaitement s’appliquer à la femme occidentale. Mais sa pensée allait plus loin, preuve qu’Africaine, elle ne l’était que par hasard.

Madjiguène Cissé au micro lors d’une manifestation de sans-papiers à Paris en 1996. Crédit photo : Bouba Touré.


La vision transversale

 

Enjamber les frontières lui avait sans doute conféré cette perspicacité qui la faisait voir en révolutionnaires toutes ces femmes aux savoir-faire mal utilisés. Mais, au sein du mouvement des sans-papiers autobaptisées les sans-papières, les travailleuses de l’aube au coucher pour des tâches qui ne leur donnaient droit à rien étaient celles qui avaient le plus à gagner à se lancer dans la lutte.

Madjiguène dit le texte du manifeste des sans-papiers3 (texte complet à lire) ci-dessus. Défilent ensuite à l’écran,
dans le générique de fin, les noms de 175 professionnels du cinéma qui soutiennent ce projet.
Ce film est l’une des premières réalisations faisant suite au manifeste des 66 cinéastes4 du 11 février dernier.

La participation des femmes

Lorsqu’elle prit la défense des sans-papiers de St Bernard en 1996, Madjiguène Cissé avait tout de suite vu comme une première étape nécessaire l’accès des femmes aux assemblées générales, alors que « l’idée même qu’elles écoutent paraissait saugrenue ».

Et en effet, la montée en puissance des femmes (y compris celle des femmes françaises en soutien des femmes africaines) lors des événements de l’Église Saint Bernard fut pour beaucoup dans le succès du mouvement des sans-papiers. Les sans-papiers sont désormais en marche et continuent à faire parler d’eux et d’elles, se déployant et s’articulant toujours plus avec les nouvelles activités citoyennes.

Les sans-papières5 ont avec elle gagné leur autonomie, non seulement par rapport aux hommes, mais aussi ont contribué à libérer le mouvement d’une partie de sa dépendance aux associations avec lesquelles les relations pouvaient être difficiles.

Les femmes qui se mirent à acquérir des compétences (informatique, alphabétisation, mise en réseau, santé, etc.), pour ne pas dépendre à ce point de leurs hommes et du pays d’accueil, réalisèrent l’autonomie, l’objectif numéro un.

Photo de Paris en 1996 par le projectionniste, photographe et réalisateur Bouba Touré

Mise en réseau

La mise en réseau fut l’étape parallèle indispensable, pour ne pas perdre les amis et les relations faites pendant les manifestations, occupations et marches, qui vit le jour avec la Coordination des sans-papiers6  orchestrée par Madjiguène Cissé. 

La vie quotidienne avant tout

Ne dérogeant en rien au modèle révolutionnaire, la lutte pour l’autonomie de Madjiguène Cissé passe forcément par la vie quotidienne. Ce principe, elle va l’appliquer également dans ses actions auprès des femmes au Sénégal à partir de 2020 dans son pays.

Porte-parole

À l’instar de ses camarades les St Bernard, Romain Binazon7, Bouba Touré8, Ababacar Diop9, mais aussi Roland Fodé Diagne, elle fut la voix, la détermination, la permanence des mouvements d’où émergea la Coordination Nationale des Sans-papiers (CNSP) en juillet 1996 à la Bourse du Travail de République à Paris sur la base d’une plateforme revendicative centrée sur la Régularisation globale de tous les Sans-papiers. 

Si elle fut celle qui sillonna l’Europe pour plaider les droits des sans-papiers10, elle fut aussi la femme qui pratiqua un féminisme pragmatique en France et dans son pays, posant les uns après les autres les prérequis pour une toujours plus ample autonomie, un développement de l’efficacité et de la rentabilité du travail des femmes dans son pays, pour qu’elles puissent réfléchir et échanger.

 

La version allemande du livre « Paroles de sans papiers » de Madjiguène Cissé

C’est grâce à elle et ses homologues, comme le projectionniste et photographe Bouba Touré (archive INA), que la lettre aux 55 00011 signatures fut signée. Elle obtient en 1998 le prix de la Ligue allemande des droits de l’homme. 

 Elle refusera sa régularisation en solo, fidèle à sa conviction que sur le terrain 12de combat qui est le sien « les avancées s’arrachent plutôt qu’elles ne se demandent ». 

Un arrière-grand-père « déterminé et incorruptible »

 Madjiguène se dit profondément inspirée par son arrière-grand-père paternel, Kagne, un « rebelle déterminé et incorruptible, une sorte de Robin des Bois tropical »13

Des exemples dans l’histoire

« Femmes de Nder » du royaume Waalo ou marche de Tiès des femmes Maliennes et Sénégalaises pour la libération de leurs hommes cheminots, les Occidentaux méconnaissent la riche histoire de la lutte des femmes d’Afrique . Peut-être parce que cette histoire comprend la lutte contre les colons.14

Dans la collection La Dispute, c’est sous l’humble titre de « Parole de sans-papiers » que le livre de Madjiguène Cissé rendra accessible à tous et à toutes l’entièreté de l’aventure des sans-papiers à la fin des années 90. Par cet ouvrage dense, elle a tenu à rendre compte de son expérience dans le détail, pour que ces luttes aient permis de gravir quelques marches à la cause. Il est passionnant d’y découvrir à travers son prisme perspicace et précis la situation ancienne, mais aussi l’état actuel de la lutte des sans-papiers. 

Livre écrit par Madjiguène Cissé paru en 1999

Un point de vue politique

Lucide toujours

Par-delà son attention au progrès de l’autonomie des femmes, Madjiguène Cissé exprime son analyse politique avec une franchise toute particulière.

Elle envisage tout autant l’autonomie vis-à-vis des associations humanitaires française que celle vis-à-vis de l’aide que la France entend apporter aux pays africains, au Sénégal pour ce qui est de son expérience15

Pour elle les pays européens donnent l’argent essentiellement pour surveiller les côtes, mais pas pour le développement. De toute façon 80% de l’argent est perdu en route. Elle s’étonne que les Français ne sachent pas ce qu’il advient de cet argent humanitaire « pour le développement ». L’Europe donne le minimum en matière d’aide publique au développement, un minimum en outre mal géré. Une étude a montré que 80% des fonds n’arrivent pas à destination, c’est-à-dire aux populations.

Elle pointe surtout une contradiction en opposant ces aides qui financent qui un puit, qui du matériel agricole, pendant que main basse est faite sur les ressources minières du pays, avec la complicité des homme forts locaux. Ces pays donneurs ne s’en cachent forcément, comme l’atteste la déclaration du général Eisenhower en 1965.16.

 

Plus grande efficacité des transferts d’argent vers les pays d’origine

Les montants envoyés par la diaspora via les communautés et les familles sont trois fois plus importants (pour ce qui est du Mali) que les aides au développement. Des études ont montré que cet argent s’avère plus efficient que ces dernières. Madjiguène Cissé déplore néanmoins que cet argent soit parfois consacré à des achats de prestige par les récipiendaires. De plus, il n’est pas suffisamment envisagé dans un projet global.

Pas assez de dialogue entre les structures concernées

Ce qui pêche selon elle, c’est que les structures concernées par les questions d’immigration et celles qui s’occupent de développement ne sont pas les mêmes et ne dialoguent pas assez. Militer contre le syndrome du pré carré et de la platebande exclusive reste un vrai défi pour Madjiguène Cissé, qui tentera autant que faire se peut de décloisonner ces tissus sociaux.

Soigner les réseaux

Elle se rend en France pour rencontrer et y travailler, mais aussi en Allemagne où le réseau Kein mensch ist illegal reste une référence en termes d’actions. Rester connectés est selon elle la seule chose à faire face « à la bourgeoisie qui défend bien ses intérêts »17

La politique du signal

Les signaux : que ce soient les déclarations au sujet du chômage et « du travail que les étrangers prennent aux Français » ou la supposée réserve que les Français auraient quant au métissage et au partage des cutures, elles peinent à défendre leur bien-fondé. La première trouve sa contradiction dans le fait que les Français répugnent à partager certains travaux dans les conditions ou les étrangers précaires les font, la deuxième dans le besoin démographique des pays occidentaux vieillissants. Les politiques migratoires, électoralistes essentiellement, ne feront que hâter l’avènement de gouvernements anti-démocratiques ; autant de balles tirées au pied des pays européens.

Madjiguène Cissé lors d’une manifestation de sans-papiers à Paris. Crédit photo : Bouba Touré.

Le jeu de dupe que l’on observe entre les dirigeants des pays d’origine et les pays d’accueil ne trompaient pas Madjiguène Cissé. Les aides au développement font figure de faux-nez pour cacher le refus obstiné de l’Occident de voir la vérité. Les étrangers africains fuient des pays devenus invivables pour des causes auxquelles ce dernier est souvent directement lié18. Ce refus commence sur le territoire d’accueil par une politique du signal : répression et brutalité verbale. L’Occident espère donner ainsi une tonalité dissuasive aux messages adressés aux étrangers. Or, ce sont les associations d’entraide elles-mêmes qui participent à ce message. N’alertent-elles pas à l’envi que « ça devient de plus en plus difficile d’obtenir des papiers en France ». Tout cela a des airs de cercle vicieux. 

La politique migratoire n’est nullement fondée sur le développement mais sur les besoins économiques de la France. L’État français fustige volontiers ses étrangers issus d’anciennes colonies, gardant sous les radars le travail informel et ses conditions sordides. Car depuis toujours, les entreprises françaises ont besoin de bras, de travailleurs à bas prix. Les critères d’admissibilité n’entrent finalement que peu en ligne de compte. Les parcours laborieux et aléatoires des demandeurs d’asile, passant parfois par la case CRA (centre de rétention administrative) ou la prison, pourraient clairement être évités avec une politique de développement hospitalière. C’est au contraire le paradoxe et le discours contradictoire qui dominent aujourd’hui.

« On va vous développer, comme ça vous resterez chez vous »19 

Madjiguène Cissé, porte-voix des sans-papiers dans une manifestation, interviewée par des journalistes.                  Crédit photo : Bouba Touré.

 

Madjiguène Cissé ne le voyait pas de cet œil-là. Pour elle le développement n’empêchera pas les Africains de venir. Seulement, leur venue sera volontaire et non pas contrainte comme aujourd’hui. « C’est qu’il faut se mettre d’accord sur ce qu’est le développement. Le développement sans autonomie, c’est encore une manière, pour le Nord, de garder l’Afrique sous sa coupe. » dit-elle20

Le message vis-à-vis des sans-papiers intime ces derniers au silence, la politique les paralyse et les désorganise. On expose à la lumière médiatique les sans-papiers sans qu’ils puissent s’en défendre. Or, cette exposition s’accompagne d’une invisibilisation par l’emploi de stéréotypes et d’euphémisations. Le résultat en est cet amalgame des « migrants » confinant à la fiction, qui instaure néanmoins une catégorie sous-humaine et sans droits.

La paupérisation aggravée par les conditions d’accueil des demandeurs d’asile ne doit pas se voir (18). Encore un autre paradoxe.

Lutte contre l’invisibilisaton – manifestation dans une rue de Paris, avec Madjiguène Cissé. Crédit photo : Bouba Touré

Cette invisibilité comme une malédiction, est utile à ceux qui profitent de la main d’œuvre précaire et « illégale ». Des patrons d’entreprise voient les sans-droits maltraités par le gouvernement21 (archive INA) sans ciller et sans états d’âme. Madjiguène Cissé tentera d’exorciser ce sort à chaque occasion.(archive INA). Sa proposition était simple : syndicaliser tous les travailleurs et travailleuses22 (archive INA), y compris les sans-papiers.

La liberté de circulation

Le refus de logement en premier lieu

À l’inverse de la politique du signal, Madjiguène Cissé voit bien comment il est possible d’accepter l’autre, puisque les Français sont en majorité issus d’un apport par vagues d’étrangers, que ce soit de deuxième ou troisième génération. Elle milite pour liberté de circulation et pense qu’elle est étroitement liée au droit au logement.

De squats en squats

Si presque tous les sans-papiers de l’Église st Bernard avaient des logements, ceux du squat de Cachan23 dix ans après n’en avaient pas. Cela fragilisait de leur mobilisation. Le fait que le squat était situé en banlieue n’arrangeait rien, même si des personnalités du monde de l’art s’y sont aussi manifestées. Mais trois ans après, le bilan était plutôt positif24.

Documentaire sur France 24 le 1er février 2023 : En France, les travailleurs sans-papiers occupent un grand nombre de postes, principalement dans l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment, le nettoyage. Tous risquent l’expulsion, malgré des emplois qui pallient un manque de main d’œuvre. France 24 est partie à la rencontre d’un éboueur sans-papiers. 

Madjiguène Cissé rappelle que « Les sans-papiers sont de nouveau parvenus à créer un réseau de solidarité qui les dépasse. Cette expression de la solidarité concerne la société dans son ensemble. Des associations qui ne se parlaient plus ont recommencé à se mettre autour d’une table. Des gens de droite, de gauche, des voisins, des enseignants, des directeurs d’école ont appris à se connaître et à travailler ensemble autour du soutien pour tel ou tel enfant. Ce n’est pas rien. ».

En 2020, au sortir du premier confinement plusieurs centaines de sans-papiers venant de plusieurs métropoles françaises décident de faire une grande marche. Pour faire reconnaitre leur participation, les collectifs de Marseille, Grenoble, etc, marchent vers Paris-l’Élysée. S’ils n’ont pas pu atteindre leur but (pas de réception du président Macron, ni de régularisation), l’expérience a été formidable. Un film à paraître bientôt se construit actuellement.

L’action de Madjiguène Cissé dans son pays le Sénégal

Après avoir refusé sa régularisation en solo25 (archive INA) C’est à partir de l’année 2000 que Madjiguène Cissé retourne au Sénégal pour convaincre les femmes de s’engager en faveur du développement de l’Afrique26.

Après avoir construit le mouvement des sans-papiers, son terrain d’action sera son pays d’origine. Elle y crée une dynamique collective en créant l’association Refdaf (Réseau des femmes pour le développement durable en Afrique) s’attachant au local et aux besoins immédiats des femmes.

La solution sera par exemple l’achat d’emplacements sur le marché de Dakar, pour échapper à la domination des hommes. Ensuite, les femmes se pourvoient d’étals, de cantine, même de camions. Mais dans l’idée de Madjiguène, il s’agit aussi de créer des points de rencontres « Pour réfléchir à ces questions ». Elle dit que les femmes et les filles ont beaucoup de responsabilités tout en étant confinées dans l’informel, dans la petitesse des crédits, du maraichage, des équipements, des volailles, des ruminants. Le problème était qu’elles n’avaient pas accès au patrimoine bâti.

Alors que garantes de la stabilité de la communauté, les femmes ont pu enfin travailler pour elles-mêmes, réussissant en trois ans à épargner l’équivalent de 106 000 euros en francs CFA. Et aujourd’hui elles sont de plus en plus nombreuses à économiser et acheter leurs propres parcelles. Elles ouvrent des écoles. Madjiguène Cissé qui a aidé les femmes à créer des richesses27 a initié à son niveau rien moins qu’une société civile féminine. 

Comme Madjiguène Cissé, Bouba Touré28 (archive INA) a investi son pays pour y construire quelque chose dans l’agriculture. Tous deux ont à cœur de faire progresser leurs pays respectifs, donner envie de rester. 

Entre allées et venues, les refoulés devaient réapprendre à vivre sur le sol africain, avoir confiance en eux et trouver un métier.

Jusqu’en 1974 les gens allaient et venaient, les Africains n’avaient plus le droit de partir de chez eux, contrairement aux gens du Nord. Eux sont autorisés à venir au Sénégal. Du jour au lendemain, les migrants sont devenus des sans-papiers en France. Du jour au lendemain la France n’avait plus besoin d’eux, même si, officieusement, les entreprises continuaient à embaucher pour pas cher.

Le point de vue de Madjiguène Cissé

 » Nous devions prendre en charge nous-mêmes les questions d’émigration29, sans nous laisser imposer les problématiques et les solutions par les pays du Nord. Notre liberté, et notamment notre liberté de circulation, passe par le développement. Si nos jeunes avaient du travail, le Nord ne leur fermerait pas la porte et eux-mêmes seraient pressés de revenir. Ce sont donc nos États qu’il faut interpeller en créant des zones de contre-pouvoir. ». 

La réalité des familles

L’aide réelle

Dans toutes les familles on envisage qu’au moins un garçon parte pour financer les formations des autres enfants.

Arrivés en Europe, s’ils ont la chance de travailler, dans la cueillette des tomates ou du raisin, ils sont payés environ 40 € par jour (25 000 francs CFA), une fortune à partager avec leurs familles. À Dakar c’est à peine cette somme qu’un travailleur moyen gagne par mois.

Se sentir inutile versus se sentir valorisé

Travailler et envoyer de l’argent à sa famille est un début de solution pour les jeunes. C’est ainsi que pour ces derniers, même s’ils savent ce qu’il se passe aux frontières, rejoindre un frère ou un ami au Nord, c’est tout sauf ne rien valoir ni être inutile.

L’appel d’air ne serait qu’un fantasme occidental à cette aune.

Des passeurs amis

Entre un passeur et un migrant, la différence est faible. Il faut savoir qu’un migrant peut facilement se retrouver passeur, même malgré lui.

Souvent ce sont les familles elles-mêmes qui les paient, dans l’indifférence des pouvoirs publics qui ne retient pas cette population sans travail qui lui pose problème.

Les déclencheurs du départ

Le départ : une tradition en Afrique de l’ouest

Très mobiles, les Africains trouvent de façon saisonnière du travail en traversant les frontières. On pourrait même dire que c’est dans l’ADN des Africains d’aimer bouger. Ce sont de grands voyageurs30

La famille

Les garçons ont traditionnellement le devoir de subvenir aux besoins de leurs parents. La retraite n’est pas commune dans les pays africains. Cela a pour conséquence que ce sont les enfants qui subviennent aux besoins des plus âgés. On a vu ces images d’enfants vendant des cacahuètes, par exemple. Toute la famille participe.

Le rêve des mères

Les mères nourissent le secret espoir que l’un des enfants puisse payer les formations des autres. Traverser les frontières participe de ce rêve.

La différence importante des salaires

« Ils travaillent dans la cueillette des tomates ou du raisin et sont payés environ 40 € par jour (25 000 francs CFA). C’est une fortune au Sénégal, ils sont heureux ! Ceux qui travaillent à Dakar dans un garage touchent à peine cette somme à la fin du mois., Ça fait une différence ! »27.

Les échos des frontières

Les jeunes connaissent les frontières par ouï dire

Pour vivre, les jeunes (20-25 ans de moyenne d’âge) sont prêts à tout, même connaissant la réalité des frontières. Comme la voie du consulat leur est complètement fermée, il ne leur reste que la mer. Ce n’est pas être fou que de partir quand on n’a rien à perdre.

Ils ignorent parfois leur traitement à destination

Entre ceux qui sont passés, ceux qui disparaissent, ceux qui sont revenus, il est difficile de savoir la vérité dans les retours d’expérience que les jeunes reçoivent avant de partir.

Les événements de Ceuta et Melilla

Un an après les événements de Ceuta et Melilla, une coalition d’ONG d’Afrique de l’Ouest et à l’initiative d’Aminata Traoré31 organise un « Forum des migrants » à Bamako au Mali. Les pays d’Afrique de l’Ouest prennent conscience de la nécessité de prise en charge les questions d’émigration, sans se laisser imposer les problématiques et les solutions par les pays du Nord. 

Pour Madjiguène Cissé la liberté de circulation, passe par le développement. Néanmois, ce dernier doit impérativement s’articuler avec l’autonomie. « Si les jeunes avaient du travail, ils partiraient mais reviendraient aussi », dit-elle.


NOTES

  1. Livre « Parole-de-sans-papiers » de Madjiguène Cissé – Éditions La Dispute – Septembre 1999. ↩︎
  2. La revue Vacarme a publié jusqu’à fin 2019 ; tous les numéros sont accessibles sur le site Cairn info. ↩︎
  3. Le manifeste des sans-papiers ↩︎
  4. Liste des 66 cinéastes ↩︎
  5. Madjiguene Cissè et Catherine Quiminal, « La lutte des « Sans-papières » », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 8-9 | 2000, mis en ligne le 28 août 2009, consulté le 17 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/cedref/220 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.220. ↩︎
  6. Sur le site du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés). ↩︎
  7. Artice publié le 13 septembre par Olivia Marsaud à l’occasion de la disparition de Romain Binazon sur le site AFRIK.COM. ↩︎
  8. Article sur le blog Cerce C.R.E.M.E. description du film documentaire « Les voix croisées » co-réalisé par Bouba Touré et Raphaël Grisey. ↩︎
  9. « Dans la peau d’un sans-papier » de Ababacar Diop, Ed. Seuil ↩︎
  10. Sur le site Arguments pour la lutte sociale/Libertés démocratiques, mouvement ouvrier, nécrologie, sans-papiers : « Les nôtres – Madjiguène Cissé (1951-15 mai 2023).Articles de Fodé Roland Diagne sur le site québecois « Presse-toi à gauche ». ↩︎
  11. Podcast d’octobre 2015 sur le site de France Inter. ↩︎
  12. Madjiguène Cissé, enseignante en Allemand, parlant couramment la langue, fut la voix des Sans-papiers auprès des démocrates et internationalistes dans la langue de Goethe. Elle obtient en 1998 le prix de la Ligue allemande des droits de l’homme. ↩︎
  13. Extrait de Entretien avec Madjiguène Cissé intitulé « Émigration choisie », réalisé par Carine Eff et Patrick Mony dans la Revue Vacarme n°48 du 21 janvier 2007. « Son point d’ancrage pourrait être un homme : dans son livre-témoignage, Parole de sans-papiers (La Dispute, septembre 1999), elle évoque son arrière-grand-père paternel, Kagne, qui avait constitué « sa base arrière » sur un « vaste plateau de verdure ». « Dans cette zone, (…) personne n’osait s’aventurer, s’il n’était certain de son hospitalité, dans cette zone libérée qu’il ne considérait pourtant pas comme une propriété privée, mais comme un territoire hors de toute domination ». C’était, dit-elle, un « rebelle déterminé et incorruptible, une sorte de Robin des Bois tropical » ». ↩︎
  14. Ibid « Il y a une longue histoire de la combativité des femmes, marquée par des traditions d’auto-organisation. Au début du XIXe siècle, en 1819, celles qu’on appelle les « femmes de Nder » ont organisé la résistance et la défense du royaume du Waalo (dans le Nord du Sénégal, à la frontière avec la Mauritanie) en se battant contre les Maures qui venaient faire des razzias et emportaient des captifs. Se sentant en position de défaite probable malgré leur grand courage, elles ont préféré s’immoler par le feu plutôt que d’être capturées et humiliées. Autre figure de la résistance féminine, la reine Ndatté Yalla, toujours dans le royaume du Waalo, s’opposa dès 1847 au gouverneur de la colonie à Saint-Louis. Après avoir lutté âprement contre la conquête coloniale entreprise par Faidherbe, elle a été vaincue en 1855 en raison de la suprématie militaire du conquérant. On peut aussi citer cette autre héroïne, Aline Sitoe Diatta, qui en Casamance, lors de la Seconde Guerre mondiale, a lutté contre la participation en nature (surtout en céréales) à l’effort de guerre imposé par le colonisateur, en organisant la désobéissance civile des populations. Un peu plus tard, en 1947, les cheminots du Dakar-Niger, le train qui relie actuellement Dakar à Bamako, se sont opposés à l’administration coloniale. La grève a été réprimée et de nombreux cheminots grévistes ont été emprisonnés. Leurs femmes, des Maliennes et des Sénégalaises, ont organisé une marche de Thiès à Dakar pour exiger leur libération. Plus récemment les femmes, aux côtés des jeunes, ont joué un rôle très important dans les protestations contre le trucage des élections de 1988. Pendant trois mois, de février à mai, elles se sont mobilisées sans relâche. Et quand il y a eu la répression, elles étaient en première ligne. » ↩︎
  15. Ibid « L’accord bilatéral que le Sénégal a signé avec la France en septembre 2006 sur les questions d’immigration et de développement s’apparente donc à un jeu de dupes : Paris promet de l’aide financière afin de mieux fermer ses frontières, tandis que Dakar affiche sa détermination à réadmettre sur son sol ses ressortissants sans rien faire pour les retenir… ». ↩︎
  16. Extrait de La Revue du Tiers-monde tome 6, n°21, 1965 par J.B. Palewski (introduction) »La logique voudrait que le sous-développement et ses remèdes se présentant sensiblement de la même manière dans les divers pays du Tiers Monde, l’aide des nations industrialisées revête, à défaut d’un accord d’ensemble, des caractères analogues. Or, il n’en est rien. Chaque État a adopté une formule qui procède d’abord de ses propres préoccupations. Cette action en ordre dispersé ne peut qu’être préjudiciable à la solution d’un problème déjà si difficile. Elle l’est du point de vue quantitatif car la comparaison du volume des aides respectives l’emporte sur l’évaluation des besoins. Elle l’est sur le plan qualitatif parce que ses modalités tiennent davantage compte des bénéfices qu’en retire le pays aidant que de ceux qu’elle procure au pays aidé. Elle l’est enfin psychologiquement car elle apparait aux yeux des bénéficiaires à la fois insuffisante et intéressée. Tous ces inconvénients, les États-Unis les subissent incontestable- ment au premier chef. L’aide américaine présente un mélange surprenant de véritable générosité et aussi de poursuite de buts intéressés. Comme le déclarait avec franchise le Président Eisenhower en février 1960 : « Le programme de notre sécurité mutuelle non seulement est dans notre intérêt le plus profond mais reflète aussi l’idéalisme du peuple américain qui est le véritable fondement de notre grandeur. » La générosité n’est plus à démontrer. L’effort accompli au lendemain de la guerre dont, nous ne l’oublions pas, notre pays a largement bénéficié, a été considérable. Si celui-ci ne s’est pas ralenti depuis, il faut bien admettre cependant qu’il a pris progressivement un tout autre caractère et il ne pouvait sans doute en être autrement. ↩︎
  17. Entretien avec Madjiguène Cissé intitulé « Émigration choisie », réalisé par Carine Eff et Patrick Mony dans la Revue Vacarme n°48 du 21 janvier 2007 ↩︎
  18. Ibid « C’est donc nos États qu’il faut interpeller en créant des zones de contre-pouvoir. Mais c’est aussi l’ordre économique et politique mondial inégalitaire qu’il nous faut combattre. Après la traite des Noirs et la colonisation, les institutions internationales comme la Banque mondiale, le FMI et l’OMC continuent de dicter les règles au profit des grandes multinationales du Nord. Autre exemple : en signant les accords de pêche l’Union européenne contribue à piller nos richesses et à nous appauvrir, si bien que les jeunes, plutôt que de devenir ou de rester pêcheurs, prennent la mer pour s’en aller. ». ↩︎
  19. Ibid « « On supprime la visibilité de la pauvreté, mais on organise la précarité, comme le fait la loi Sarkozy en supprimant le principe de la régularisation de plein droit après dix ans passés sur le territoire. ». ↩︎
  20. Ibid
    ↩︎
  21. Sur le site de l’INA/l’INA éclaire l’actu : document vidéo de France 3 par le journaliste Olivier Chapelet : « Sans papiers : factuel de l’évacuation – août 1996. ↩︎
  22. Archive de l’INA/L’INA éclaire l’actu : « Madjiguène Cissé à la permanence des sans-papiers» – novembre 1996. ↩︎
  23. Article sur le site de France Terre d’Asile titré « Squat de Cachan trois ans plus tard ». ↩︎
  24. Ibid ↩︎
  25. Archive de l’INA/L’INA éclaire l’actu : « La procédure des sans-papiers » – août 1996. ↩︎
  26. Entretien réalisé avec Alejandra Riera par Pascale Cassagnau en 2005 dans la Revue Vacarmes n°32 ↩︎
  27. Article de par Jean-Luc Martin-Lagardette titré « Madjiguène Cissé : l’ex-sans-papière aide les femmes à créer des richesses (III) » sur le site Ouverture le Temps Citoyen 2010. ↩︎
  28. Archive de l’INA/L’INA éclaire l’actu : « Madjiguène Cissé, Bouba Touré » – novembre 1996 ↩︎
  29. Entretien avec Madjiguène Cissé intitulé « Émigration choisie », réalisé par Carine Eff et Patrick Mony dans la Revue Vacarme n°48 du 21 janvier 2007 ↩︎
  30. Article sur le site Cairn Voyageurs africains Danielle de LameJean-Pierre Chrétien dans Afrique & histoire 2005/2 (vol. 4), pages 7 à 10. ↩︎
  31. Sur le site du GISTI, la présentation du livre « Guerre aux migrants : Le livre noir de Ceuta et Melilla » par le collectif Migreurop Coll Syllepse. 2017. ↩︎

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1 commentaire

Boustila moustafa 25 mai 2023 - 08:32

Excellent article, j ai trop aimé

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