Plaidoyer-fiction abolition de l’esclavage

Le CERAG organise un spectacle théâtral à Strasbourg

de Valérie Dubach

Maître Gregory THUAN dit DIEUDONNÉ(1) défend Mulâtresse Solitude (2) à l’auditorium de la BNU de Strasbourg

C’est à l’occasion du 175ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, que le CERAG Strasbourg (3), en partenariat avec la FME (Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage)(4), L’Eurométropole de Strasbourg et la Bibliothèque nationale universitaire, a imaginé cette réécriture de l’Histoire devant une cour fictive.

Car le plaidoyer-fiction « à la défense de Mulâtresse Solitude » représente une opportunité rare pour l’évocation de détails peu rapportés, ou difficiles à rapporter. Quel autre concours aurait pu, mieux que la plaidoierie-fiction de Me Gregory Thuan dit Dieudonné (5), permettre de déployer devant le public ce que recouvrait l’esclavage, au-delà des privations de libertés et du travail forcé ?

Rappelons que Solitude sera la première femme noire honorée par une statue à Paris (6)

Intervention du président du CERAG

Le président du CERAG remercie l’adjointe à la Maire, Anne Mistler, qui a fait l’honneur de sa présence en tant que chargée des commémorations, des arts et de la culture.

Il rappelle en préambule que  » le CERAG s’est fixé l’objectif d’entretenir et de renforcer les liens d’amitié et de solidarité entre tous ses membres et de promouvoir, par une réflexion commune, des moyens propres à favoriser le progrès économique et social des ressortissants des Antilles et de la Guyane. Le cercle a également vocation à s’intégrer dans le tissu associatif local, d’être un lien entre les instances régionales et européennes et tous les membres de la Communauté antillaise guyanaise d’Alsace. Il se donne par conséquent le devoir de participer à toutes les manifestations culturelles de la région et parfois en outre-Rhin. Organisant également avec d’autres associations des actions communes comportant des animations culturelles des Antilles et de la Guyane, le CERAG est ainsi amené à intervenir fréquemment auprès des instances locales, afin que la culture de ces îles soit prise en compte lors de toute action culturelle régionale. Il s’attache enfin à organiser des actions ponctuelles pour la mise en valeur de la culture dont il se fait l’ambassadeur dans l’esprit d’une structure européenne. »

Activités culturelles du CERAG depuis 1990

« Depuis 1990, le CERAG a organisé plusieurs événements, à commencer par l’opération « Fureur de lire », avec Maryse Condé (7) en invitée. Il collabore au Forum des associations internationales d’Alsace, créé pour la première fois en 1992, et participe à son agora. Puis il invite en 1993 Patrick Chamoiseau (8) et Raphaël Confiant (9) à une rencontre. Tous les ans, c’est le CERAG qui  organise le traditionnel « Chanter Noël » bien connu de tous, à la Maison des Associations. Déjà en 1998, le Cercle avait présidé à Strasbourg au 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, sous le patronage de Madame Trautmann, alors ministre de la Culture. Plus récemment, en 2022, le CERAG a permis au spectacle « Marie Prince » (10) d’être donné au Point d’Eau d’Ostwald, en partenariat avec la FME. »

Mise en contexte de la plaidoierie

« Durant des siècles, des millions d’esclaves, des femmes, des hommes, des enfants, furent enchaînés, battus, asservis, déportés d’un continent à l’autre. L’esclavage est aboli par la Convention 4 février 1794, mais rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte. Il a fallu attendre 1848 et la IIème République pour que l’alsacien Victor Schoelcher (11), nommé président de la Commission, rédige le décret définitif d’abolition de l’esclavage.

Alphonse de Lamartine (12), l’un des signataires, s’écria allors : « Je viens de signer la libération des Noirs, l’abolition de l’esclavage. Ma vie n’eut- elle eu que ce moment que je ne regretterais pas d’avoir vécu ».

Avant même que parviennent aux Antilles le décret du 27 avril 1848, les troupes se produisaient à la Martinique le 22 mai 1848. »

Histoire de l’abolition

L’abolition de l’esclavage s’est donc faite en deux étapes (13). Son histoire s’inscrit dans un entremêlement financier et commercial de riches propriétaires avec leurs propres États, que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de ‘too big to fail ». Pour un point de vue philosophique et multipolaire de ce système économique basé sur l’anéantissement humain, voir le film de Pontecorvo « Quémada » (14).

Présentation du plaidoyer-fiction de l’avocat du Barreau de Strasbourg Gregory Thuan dit Dieudonné à la défense de Mulâtresse Solitude

Sise au carrefour giratoire de La Croix, boulevard des Héros, aux Abymes Guadeloupe. Réalisée par
Jacky Poulier, sculpteur guadeloupéen, la statue
de la Mulâtresse Solitude a été inaugurée le 27 mai 1999

Importance des femmes

« Bien des noms féminins s’élèvent dans l’histoire de l’esclavage et de son abolition, ne serait-ce que celui de la femme de lettres Olympe de Gouges (15) qui s’était dressée contre l’esclavage. Elle écrira une pièce de théâtre (16) sur l’esclavage intitulée « Zamore et Mirza ou l’esclavage des noirs ».

D’autres femmes qui étaient des esclaves, comme à Haïti, une rebelle et aide-de-camp de Toussaint Louverture (17) s’appelant Sanité Belair (18) , ou la compagne de Louis Delgrès (19), Marthe Rose, dit Toto (20), ont tout autant laissé leur trace héroïque. 

Ces femmes illustres sont évoquées par Christiane Taubira (21) le 10 mai 2021 sur Twitter.

Mais ces portraits sont loin de résumer les vies, celles des millions de femmes réduites en esclavage qui ont participé aux résistances et ont contribué à la survie de leurs groupes et de la société tout entière. »

Mulâtresse Solitude

« Leur destin nous rappelle la détermination et leur courage, comme la mulâtresse Solitude, héroïne de la liberté en Guadeloupe.

Arrêtée, alors enceinte, elle sera jugée par un tribunal. Son existence, bien sûr, est attestée par l’historien Auguste Latour.

Aujourd’hui, nous allons rendre hommage à Solitude par une vibrante plaidoirie. »

Allocution de Madame Missler, adjointe à la maire de Strasbourg, en charge des commémorations

« Je suis adjointe aux arts et aux cultures de la ville de Strasbourg et en charge de la politique mémorielle. Je vous transmets toutes les salutations les plus chaleureuses de Madame la maire de Strasbourg que je représente ici, et je ne doute pas que nous aurons des échanges très intéressants à partir de la plaidoirie de la mulâtresse Solitude. Enfin concernant la mulâtresse, des études pour laquelle j’ai un attachement profond, puisque j’ai eu le bonheur de rencontrer Simone Schwarz-Bart, dont l’époux (22) avait écrit « La mulâtresse Solitude », qui a permis de remettre en lumière cette femme, ce parcours, ce destin. », alors fictionnel en grande partie, et vous avez fait référence au fait qu’il y a une mention de Solitude dans l’ouvrage d’Auguste Latour.

Mais le simple fait qu’elle ait été, comment dire, immédiatement adoptée et considérée comme étant l’héroïne de la résistance au rétablissement de l’esclavage est quelque chose qui est extrêmement important parce que ça a permis, je crois, à une partie de la population, aussi d’entrer dans un personnage héroïque. Ce n’était pas le seul, mais de s’identifier et quelque par se retrouver. Alors, ce sont des mots bien sûr, mais de retrouver une forme de dignité dans toutes ces périodes extrêmement douloureuses. Je crois que votre association fut créée en l’année 1989. Cela coincide avec la redésignation officielle du Fort Saint Charles, dit Fort Richepanse, en Fort d’Allégresse.

En fait toute la problématique de la défense des droits culturels au sens très large du terme. Alors avec un accent particulier sur l’histoire de l’esclavage.

Mais on n’oublie pas qu’aujourd’hui dans certains pays et dans certains cas, existent encore des formes d’esclavage contre lesquelles il faut absolument lutter.

Je vous remercie de votre invitation et vous souhaite vraiment un bon moment. »

Lecture de deux extraits littéraires

Le président du CERAG : « Dans la littérature, qui est très foisonnante, les auteurs célèbres, moins célèbres, ont écrit diverses choses à propos de l’esclavage. Je vous propose d’en écouter 2 extraits. Une de nos membres va nous lire un extrait d’Édouard Glissant (23) :

Vous ne pouvez pas haïr un peuple ou une communauté qui ont cessé de vous haïr. Vous ne pouvez pas aimer vraiment un peuple ou une communauté qui haïsse encore ou qui qui vous met ou qui vous méprise lourdement. C’est qu’en matière de relations entre communauté, la vie est une manière particulière et unilatérale d’établir des rapports avec les autres, mais que la mémoire qui est non pas une médication de l’oubli, mais elle allait être son éclat et son ouverture ne peut être que commune à tous. L’oubli, offense et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre. Parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ces souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. 

Je donne la parole à Marissa :

« Bonjour, je vais vous lire un texte qui s’appelle « Mère liberté », écrit par ma maman :

Tu cours, tu cours le soleil brûle dans le ciel
Tu danses, tu danses, la savane chante pour toi
Tu cours, tu cours, ta vie est toute tracée
Tu souris, tu souris
Un jour comme ton père, c’est toi qui seras chef
Tu n’aurais jamais imaginé ton corps au fond d’un bateau
Il y a toujours des gens qui pensent que ce qui est à toi est à eux
Tu n’aurais tu n’aurais jamais imaginé que ta peau puisse devenir une seule plaie
Mère Liberté pleure ses enfants
Tu cours, tu cours, il y a beaucoup de chiens qui te cherchent
Tu te caches, tu te caches, tes cheveux sont semblables à des lianes
Tu cours, tu cours, la peur étreint ton cœur
Mais tu souris car ton corps est à toi, rien qu’à toi
Il n’aurait jamais imaginé que les tambours se fâcheraient
La terre tremble en-dessous des voix qui s’élèvent
Il n’aurait jamais imaginé qu’un jour tout changerait
Mère Liberté aura toujours des enfants qui chanteront pour elle

Le plaidoyer-fiction

– « Maître Gregory Thuan dit Dieudonné, avocat que Jean-Marie Sainte-Luce nous a présenté, va venir défendre une mulâtresse qui est accusée de crime. »

-« Bonsoir Mesdames et Messieurs.

Quelques propos introductifs avant avant de commencer :

J’ai choisi le jour de l’exécution de Solitude, mulâtresse, et me suis projeté comme si j’avais l’occasion de plaider la révision de sa condamnation et de demander sa libération.

Nous sommes le 29 novembre 1802, donc dans le calendrier révolutionnaire, nous sommes le 8 Frimaire de l’an XI.

Monsieur le Président de la Commission militaire, Messieurs les membres de la Commission militaire… »

Plaidoyer ficiton de Me Gregory Thuan dit Dieudonné, à la défense de Mulâtresse Soitude

Notes

  1. Site de Maître Gregory Tuan
  2. Biographie de Mulâtresse Solitude sur le site de la FME
  3. Page Facebook du CERAG (Cercle européen de représentation des Antilles et de la Guyane)
  4. Site de la FME (Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage)
  5. Lien vers l’article « Les réparations de l’esclavage » sur le site Cercle C.R.E.M.E.
  6. Par Le Figaro Publié le 05/10/2020
  7. Biographie sur le site de la FME
  8. Ibid
  9. Ibid
  10. Spectacle donné au Point d’eau d’Ostwald le 21 Mai 2022
  11. Biographie sur le site de la FME
  12. Ibid
  13. Article sur le site de la FME intitulé « NAPOLÉON ET LE RÉTABLISSEMENT DE L’ESCLAVAGE – L’ESSENTIEL »
  14. Film complet de 1971 en français « Queimada burn » de Gillo Pontecorvo avec Marlon Brando, Evaristo Marquez, Renato Salvatori. Musique d’Ennio Morricone
  15. Biographie sur le site de la FME
  16. Sur le site de l’Odéon Théâtre de l’Europe
  17. Biographie sur le site de la FME
  18. Ibid
  19. Ibid
  20. Ibid
  21. Christiane Taubira s’exprime au sujet du silence du président Macron lors de lors de la cérémonie de mémoire de l’esclavage le 27 avril 2021.
  22. Biographie sur le site de la FME
  23. Ibid

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