Points de fuite

Pour être quelqu’un de bien, je ne dis pas qu’il faudrait bouger, déménager, partir, aller au plus loin.

Je ne dis pas qu’il faudrait arrêter d’être un « assis », pour avoir la médaille du mérite.

Je ne forcerais même personne à s’imaginer se lever de son siège de paille, de son sofa et ses séries télévisées, pour redevenir un être humain digne de ce nom.

Je n’aurais d’ailleurs pas la naïveté de dire qu’il faut traverser les écrans pour vérifier si l’image dit toute la vérité.

Ce serait bête de penser qu’il faudrait n’avoir pas de toit, manger peu, consommer encore moins, parler plusieurs langues, avoir sa bibliothèque dans sa tête, comme un migrant, pour mériter d’avoir les pieds sur cette planète.

Exagéré aussi de devoir revenir à la frugalité, c’est-à-dire arrêter de faire marcher l’électricité à tout bout de champ, laisser tomber la domination de tout, pour mériter cette terre.

Je ne dis pas qu’il faut être un voyageur et non un sédentaire pour ne pas se faire fierté de polluer à tort et à travers, non je ne le dirai pas.

Je n’arrive pas non plus à me dire qu’il faut arrêter d’être des gens pressés, indifférents, n’ayant besoin de personne, pour redevenir humains.

Je n’ai jamais dit qu’il faut mendier dans les rues, raser les murs dans la peur de l’expulsion, dormir au bord des trottoirs, sous les bretelles d’autoroutes ou dans les entrées d’immeubles, pour être quelqu’un de bien.

Je ne pense pas davantage qu’il faut être le plus discret, le plus humble possible et ne compter que sur Dieu pour rester digne d’être l’un de nos contemporains.

Je ne dis pas qu’il faut franchir les crêtes des Alpes et perdre ses doigts à les avoir trop laissés dans le froid, pour avoir la médaille du courage.

Je ne dis pas qu’il faille traverser la Méditerranée ou le Sahara sans rien sur soi, pour être quelqu’un de très très bien.

Je ne dis pas qu’il faille se faire violer sur les routes parce qu’on est une femme seule accompagnée d’enfants, qui a fui la violence domestique, pour être une femme bien.

Mais, si Rudyard Kipling était Dieu, il observerait ces parcours et dirait facilement, « Alors, mon fils, tu seras un homme ».

Je dis simplement qu’il faut être aujourd’hui toute la misère aux frontières, profitant de l’appel d’air, pour mériter d’être au monde.

Ceux qui se mettent au monde sont forcément des gens bien.

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3 comments

DEICHTMANN Nadine 22 avril 2023 - 17:14

Et si on n’est pas la misère ou de la misère aux frontières, on ne mérite pas d’être au monde?
Si, nous sommes les piliers de sociétés (en)viables, nous sommes l’autre de l’un, l’un de l’autre bien sûr !

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admin 1 mai 2023 - 15:27

On est tous susceptibles de devenir la misère au frontières. Actuellement, le phénomène de pixellisaton des frontières, avec la reconnaissance faciale, les drones qui surplombent les manifestations, les technologies du contrôle en général, nous dessinent un avenir plein de frontières invisibles. Il me semble que : qui dit misère, dit frontière. Il faut pouvoir tendre la main.

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whoiscall 20 juillet 2023 - 15:56

Thanks.

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