Sommaire
- 1 Notes d’après-spectacle :
- 2 Questions du public
- 2.1 « Depuis la sortie de ce livre, qu’en est-il des jeunes et de leurs certitudes ? »
- 2.2 « Votre pièce parle à tout le monde, elle éclaire. Elle pose les questions »
- 2.3 Les victimes de Daech : « Les principales victimes de Daech sont en Syrie, en Lybie, ce sont des musulmans qui sont les principales victimes en fait ».
- 2.4 La question de choisir son camp : « Y a-t-il un espace pour être autre chose que les deux faces de la même pièce ? » (le point de vue de Daech mis dos à dos à celui des Occidentaux, évoqué par Nour dans la pièce « Lettre à Nour »)
- 2.5 Quelle politique publique vois-tu Rachid ? Les enfants qui sont montrés du doigt alors qu’ils ont besoin qu’on leur dise qu’on les aime
Notes d’après-spectacle :
Présentation du spectacle par Mustapha El Hamdani de l’association Calima (Strasbourg – Meinau):
Une pièce tirée du livre « Lettre à Nour » de Rachid Benzine le 3 juin 2022 est donnée au Théâtre de Hautepierre.
Mustapha El Hamdani (association Calima Meinau Strasbourg) : « Les Printemps des mémoires de l’immigration sont en allusion aux printemps arabes. Petite lueur de lumière. Notre association a vu le jour en accompagnant les Chibanis qui venaient pour l’accès aux droits. Ils avaient inscrit l’immigration dans un mythe de « retour ». Face aux agences d’intérim pas scrupuleuses, qui ne consignaient pas leurs heures, ils étaient en proie à des galères administratives, se retrouvaient à ne toucher qu’une maigre retraite. Refaire tout leur parcours professionnel est revenu à collecter énormément d’infos. Récits de vie, d’abord pour les enfants : « Pourquoi t’es venu en France, pourquoi la France ? ».
Les maghrébins sont très pudiques.
On a organisé une résidence artistique à la Meinau pour que des artistes restituent ces mémoires. Cela se fera à travers une BD et un livre de portraits et de récits de vie.
Nous sommes très reconnaissants et fiers de recevoir ici Rachid Benzine qui nous soutient. »
L’auteur de « Lettres à Nour » en collaboration avec la comédienne Joséphine Serre
Joséphine Serre, comédienne, donne la réplique à Rachid Benzine qui lit ici lui-même son texte.
Rachid Benzine : « J’ai mené un travail sur ceux qui revenaient d’Irak (hommes ou femmes) pendant un an et demi.
Je travaille sur le récit. Nous sommes des êtres narratifs, nous produisons des récits auxquels nous adhérons. Le principe de tout récit, c’est l’action. Qu’est-ce qui fait que les jeunes arrivent à se mouvoir sur un même lieu ?
Rhétorique du sensible au service du sens.
Je me bats pour le retour des enfants de Daech depuis 2019. Deux-cents enfants et quatre-vingt femmes sont encore dans ces camps (en passe de devenir de petits Gantanamo). L’ONU estime que La France « viole le droit de ces enfants ».
Entre 2018 et 2022, 200 enfants sont déjà rentrés en France.
En France on a renoncé à la confiance en nos institutions.
La France se trahit elle-même de façon récurrente. Nous ne sommes pas une société religieuse, mais d’immanence, passant par le droit. »
Questions du public
« Depuis la sortie de ce livre, qu’en est-il des jeunes et de leurs certitudes ? »
Réponse de Rachid Benzine :
« Entre 11 et 16 ans, on forge ses représentations, son esprit critique. Depuis cinq ans, la pièce tourne. Elle a été jouée devant des milliers et des milliers d’ados en France et aussi en Belgique. Dans d’autres langues (Italien…). Au scolaire, le texte est étudié, même dans le programme du bac ! Cela depuis 2017, grâce à un prof de français (Sébastien, un belge), qui a demandé à ce que « Lettres à Nour » soit présenté aux jeunes. Un metteur en scène est venu et l’a préparé pour le théâtre, y incluant parfois même de la danse. Cette initiative vise en fait à donner aux élèves la possibilitéd’écrire. »
Donner aux élèves la possibilité d’écrire
« À partir du moment où les gens deviennent des écrivains, moi ça m’intéresse. En prison aussi, on observe que cette pièce est peut-être à même d’enlever une partie de la colère des terroristes incarcérés. »
Il faut un lieu institutionnel pour la colère
« Parce qu’IL FAUT UN ESPACE POUR LA COLÈRE (la colère n’a plus de lieu institutionnel pour se dire). Il faudrait être capable d’entendre la colère, la plainte. Comme le dit la Bible, il y a un temps pour tout.
Les terroristes, les djihadistes, peuvent se reconnaitre en Nour. »
« Votre pièce parle à tout le monde, elle éclaire. Elle pose les questions »
Réponse de Rachid Benzine :
« Il y a quatre axes dans le récit de Daech :
– Le rêve d’unité
– Le rêve de dignité
– Le rêve de pureté
– Le rêve du salut
L’unité
Revenir sur le traçage lié à la colonisation. La République turque est instaurée en 1923 sur les ruines de l’empire ottoman. Son fondateur, Mustafa Kemal Atatürk va réformer les institutions. Reconquérir cet espace (ex : Poutine), d’une communauté chaude, une communauté de frères et de sœurs. On va faire appel à des éléments endogènes comme si l’Islam produisait ses propres concepts pour sa propre gouvernance.
La dignité
(cf Hannah Arendt )
Vous êtes complément d’objet direct (ou indirect), mais pas sujet, vous n’avez plus d’initiative. C’est l’humiliation. On n’en guérit pas. L’injustice, on peut la dire, mais quand vous êtes humilié, vous êtes privé de parole.
La pureté
C’est le NOUS et le EUX. Idée de contamination par les autres, qu’on doit purifier, par la violence (l’acte de purifier comme acte moral).
Le sens, le salut
Placer dans nos société la mort. Quelle mort, quels espaces rituels ? Quand on n’a pas de sens à sa vie, on donne un sens à sa mort.
Nous adhérons à des récits, c’est cette adhésion qui les rend importants.
Il y a une obésité de la religion
La religion prend en charge absolument tout, ce qui est un phénomène récent.
Question d’Alfred Zimmer (comité du MRAP Strasbourg) : « Comment avez-vous pensé passer du livre à la pièce ? Est-ce sur demande des profs pour leurs élèves ? »
Réponse de Rachid Benzine :
« Oui, depuis j’ai écrit deux pièces de théâtre. La pièce questionne beaucoup les jeunes.
L’effondrement du récit de la modernité
Depuis que le récit de la modernité (et du progrès) s’est effondré, il y a un éclatement du récit en une multitude de récits.
Les récits de la société française
Dans la société française, j’en dénombrerais quatre : le féminisme, le discours écologique, le discours colonial, les mouvements sociaux. Certains rêvent de convergence des luttes.
Il y a un point commun à tous ces récits, ils demandent tous réparation.
Les gilets jaunes demandent la réparation de l’environnement des services publics.
Mettre en commun les récits
Aujourd’hui il faut être capable d’écouter un autre narratif que le sien, mettre en commun nos récits, faute de réussir à faire un récit commun. Cela signifie aussi échanger nos mémoires.
Certains narratifs ne seraient pas légitimes, comme le wokisme, la victimisation… Il faut explorer au contraire les discours de dé légitimation, par la mémoire, l’histoire et le théâtre, pour mettre en commun nos écrits.
Les récits
Joséphine Serre a écrit deux très beaux textes sur l’Algérie !
Les victimes de Daech : « Les principales victimes de Daech sont en Syrie, en Lybie, ce sont des musulmans qui sont les principales victimes en fait ».
Réponse de Rachid Benzine :
« Oui, il y a une guerre à l’intérieur de l’Islam. Chaque groupe veut imposer sa vérité sur l’Islam, toujours avec cette question de pureté. Mais il n’est pas question de comparer les victimes, de débattre sur qui est le plus discriminé… Depuis le début du XXIème siècle, le monde musulman est traversé par des tensions, des explosions dans des pays en voie de décomposition. Dans un contexte musulman, il y a un vrai déficit d’histoire.
Le déficit d’histoire
Rachid Benzine : « Je dis toujours ; faute d’histoire, on se raconte des histoires et ça fait des histoires ! »
Mustapha de Calima : « On a fait beaucoup de chemin. On traite des gens de décérébrés, de cons. Mais il ne faut pas dire ça. Grâce à un travail qui s’est fait, on a brisé de véritables causes, le pourquoi des choses. En répondant à la question Qu’est-ce qui arrive à nos enfants ?. Dans les années soixante, les Chibanis culpabilisaient les jeunes, qui en avaient marre.
La question de choisir son camp : « Y a-t-il un espace pour être autre chose que les deux faces de la même pièce ? » (le point de vue de Daech mis dos à dos à celui des Occidentaux, évoqué par Nour dans la pièce « Lettre à Nour »)
Réponse de Joséphine Serre :
« Il faut sortir de la polarisation du monde. Comment on sort d’une forme d’impérialisme matérialiste, d’une surconsommation qui engendre une perte de sens ? Il faut réactiver le rôle de l’espace politique, car on n’a pas vu dernièrement (particulièrement pendant la période des élections) cet espace où le désaccord est nécessaire, souhaitable. »
Pour Rachid Benzine, ne pas se contenter du discours des médias :
« On a toujours une représentation de la société. Il faut interroger cette image, et ne pas se contenter des discours des médias. L’Islam n’est plus un empire, la France n’est plus un empire, etc. Il faut changer les représentations.
Quelle politique publique vois-tu Rachid ? Les enfants qui sont montrés du doigt alors qu’ils ont besoin qu’on leur dise qu’on les aime
Réponse de Rachid Benzine :
L’importance de la reconnaissance
« Je pense qu’il faut travailler sur la notion de reconnaissance, comment s’opèrent les dénis de reconnaissance, le mépris. En France il y a une impuissance réelle à changer la réalité. Les politiques n’arrivent pas à actionner, à changer. Même quand le politique veut, il ne peut rien faire. Il faudrait peut-être injecter de la confiance.
Le président a le pouvoir de nommer des gens pour se constituer une cour ou gérer la maison. Certains renoncent, faute de vivre ensemble, ils préfèrent se retirer dans l’entre soi, d’autres ont un discours viriliste (Zemmour), d’autres encore un discours religieux prônant l’austérité. »
Ce qui doit être reconnu, c’est les capacités des gens
Nous manquons sans doute d’imagination pour imaginer des relations horizontales.
La société civile doit trouver de nouvelles formes pour s’organiser et faire pression. Le capitalisme vous vole du temps parce que vous devez toujours avoir des projets.
La police aussi n’est pas reconnue
On pensait que les premiers lieux de mépris et d’humiliations devaient être par rapport à la police, or la police elle-même dit qu’elle est humiliée, qu’elle n’est pas reconnue, et qu’elle manque de moyens. Elle a le même discours que les gens des quartiers.
L’école premier lieu de mépris
Le premier lieu de mépris, c’est l’école, et plus précisément le conseil d’orientation.
Il faut travailler avec les conseillers d’orientation, les CPE, les parents, les élèves, et en dehors de l’école.
Que faudrait-il faire avec les enfants, avec l’école ?
Sinon, ce sera et ça restera la consommation.
À lire, deux ouvrages sur la notion de reconnaissance :
– Axel Honneth : « La lutte pour la reconnaissance »
– Paul Ricœur « Parcours de la reconnaissance »