Les sans-papiers occupant emplois et logements, payant parfois des impôts, vivent toujours cachés

de Valérie Dubach

Commentaire du Podcast de France Culture du samedi 4 juin par Nora Hamadi

Mots du président

Emmanuel Macron à propos des dossiers relatifs au droit d’asile : « Notre ennemi c’est la lenteur ». Cette phrase en dit long sur la capacité rhétorique de notre président quand on sait que c’est justement la lenteur d’un coup de pied au cul qui s’éternise, jusqu’à l’absurde, jusqu’à cette folie qui touche nos sociétés dans leur rapport à l’accueil et à l’hospitalité1

Atermoiements sans fin dans les méandres administratives

À force de remettre à demain, on construit des prisons pour faire attendre, mais pas dans des conditions normales. Ces conditions qui ne sont pas forcément avouables, peu les connaissent. Les prisons ont bien des murs, mais elles peuvent être aussi une prison de tous les instants, puisque les frontières qui se sont épaissies suivent partout les étrangers en attente de papiers, qui sont contraints de vivre chaque moment de leur quotidien dans l’inquiétude et la menace.

L’espace public des démocraties n’est pas pour tout le monde, car tout le monde ne peut pas y poser son pied.

Le tri

Les sans-papiers par exemple, lorsqu’ils posent le pied sur la démocratie, se brûlent toujours un peu. Comme ça, parce que l’appel d’air, parce que quand même, il faut faire la différence entre les gens. Il faut trier. Et ce tri est un cruel exercice qui en plus dure souvent très longtemps.

Pourquoi les sans-papiers, dont on parle tant, qui servent aux politiques à les distinguer, à faire valoir leur maitrise et leur capacité à agir politiquement, ne sont-ils visibles que quand ils manifestent pour leurs droits ?

Les décisions électoralistes

Depuis des décennies, chaque nouveau candidat aux élections se présente plus repressif pour des raisons électoralistes, alors que chaque année il y a en France plus de régularisés que d’expulsés. Le discours est à rebours de la réalité.

Depuis les propos de Sarkozy et son concept abject d' »appel d’air », la politique se fait dissuasive, menaçante, elle traque les corps de multiples manières. Craignant à tout moment les dénonciations et les arrestations, les sans-papiers ne peuvent plus avoir de relations normales avec autrui, ne sont plus des personnes à part entière. « Je ne suis pas moi », peut déclarer l’un d’eux.

Les bras indispensables

Pourtant, depuis 1990, la France ne pourrait pas fonctionner sans ces travailleurs qui travaillent en marge des protections garanties par la loi, et offrent à leurs employeur leur flexibilité (ou « docilité ») et l’avantage de leurs bas salaires. La sous-traitance illégale permet en outre aux donneurs d’ordres ne n’être responsables de rien, elle est là pour nonner de la « chair à chantier », pour faire de « l’externalisation sur place », dans un dumping social absolu.

Podcast sur les sans-papiers, « chair à chantier » sur France Culture2

Autrefois, les détentions ne pouvaient dépasser 7 jours, mais, il y a deux ans, la limite s’est étendue à 90 jours. L’ennemi de Macron, la « lenteur » s’est institutionnalisée.

Les boucs-émissaires

L’horrible perspective que nous avons alors, nous la société civile, c’est de détourner toujours plus le regard des sujets importants. Nous nous contenterons d’être gouvernés par la peur.

L’étranger, le sans-papiers, le migrant, qui incarnent les figures du bouc-émissaire, d’instrument de clivage gauche-droite3, sont une invention qui peut porter se fruits pour certains personnages politiques. Autant ont-ils de tous temps permis de créer de nouveaux emplois, participé à la construction de notre pays, cotisé, enrichi et favorisé notre culture, autant les dispositifs fabriqués pour les contrôler nous concernent aussi.

Un racisme institutionnalisé

Appliquer sur eux ce qu’il faut bien appeler un racisme institutionnalisé4, n’est pas seulement une injustice5, un coup de couteau dans la démocratie. Car même ceux qui sont parfaitement blancs et ont des papiers, si pour eux il ne sera peut-être pas question de racisme, sont visés. On trouvera les prétextes de la sécurité, de l’économie, de la « priorité française », que sais-je encore, de la santé, pour durcir le contrôle de leurs vies et de leurs esprits. Le contrôle des « migrants », cette actuelle usine à gaz, ne se justifie financièrement que parce qu’il est une expérience pilote. Il a pour vocation d’être étendu aux pauvres sur le sol français. Le commerce du contrôle et de la sécurité est un secteur qui a le vent en poupe.

Instrumentalisés et contrôlés

Qu’ils soient « migrants » ou simplement pauvres, ce seront toujours les mêmes abandonnés et oubliés, pourtant susceptibles des se prêter au rôle de variable d’ajustement dans les jeux politiques qui les instrumentalisent uniquement parce qu’ils n’ont pas de porte-voix, ni de moyens, ni d’énergie parfois pour se défendre.

L’espace public, les communs ne doivent pas être minés, quadrillés, contrôlés, mais des espaces de liberté pour la circulation de tous.

Sinon, comme le dit la dramaturge Sonia Chiambretto6, « C’est la fin du monde ».

NOTES

  1. Article du Cercle CREME : « Michel Agier et l’hosti-pitalité » ↩︎
  2. Podcast de France Culture : « Travailleurs sans papiers, « chair à chantier » – 6 juin 2022 ↩︎
  3. Article du Cercle CREME : « Français contre étrangers, vraiment ? » ↩︎
  4. Article du Cercle CREME : « Oliver Le Cour Grandmaison à Strasbourg » ↩︎
  5. Article du Cercle CREME : « Le MRAP parle d’un acharnement » ↩︎
  6. Sonia Chiambretto au Festival d’automne 2023 à Paris présente son spectacle « Oasis Love » ↩︎

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